22 Octobre 2024
Pendant que l’Amérique et l’Europe ont les yeux rivés sur les deux guerres en Ukraine et au Proche-Orient, la Chine conduit, depuis le 14 octobre, dans l’indifférence générale, un véritable blocus naval de Taïwan (le troisième en deux ans), avec cette fois pas moins de 125 avions de chasse, 14 navires de guerre, et même l’un de ses trois porte-avions, le Liaoning.
Officiellement, ces manœuvres, intitulées Joint Sword 2024B, visent à répondre aux propos du président taïwanais William Lai, quatre jours plus tôt, à l’occasion de la fête nationale taïwanaise. Lai avait eu l’audace d’affirmer que son pays existait bel et bien en tant que nation démocratique, sans pour autant remettre en cause le statu quo. Pour Pékin, cet affront méritait « punition », d’où ce qui ressemble fortement à une répétition générale de la conquête de l’île, que le régime de Xi Jinping entend bien mener à bien avant 2027, dit-on. En verrouillant totalement l’île, Pékin pourrait ainsi s’emparer de la principale usine de microprocesseurs du monde, sans tirer un seul coup de feu…
Cette stratégie n’est pas sans rappeler le blocus de Berlin, décidé par Staline en juin 1948, mais qui échoua après la mise en place d’un pont aérien par les États-Unis, permettant de ravitailler la population berlinoise de 2 millions de personnes. Finalement, le blocus fut levé en mai 1949, un prélude à la création de l’OTAN (avril 1949) et à la naissance, le 8 mai, de l’Allemagne de l’Ouest.
Xi, qui connaît bien cette histoire, veut éviter que le scénario se termine de la même façon. Tout l’effort militaire de la Chine est donc orienté vers l’étouffement de Taïwan, interdisant par avance toute intervention américaine dans une zone que Pékin considère comme chinoise. D’où le gigantesque effort de réarmement dans lequel Xi a engagé son pays depuis son arrivée au pouvoir en 2013.
Il y a dix ans, aucune entreprise de défense chinoise ne figurait parmi les principaux industriels mondiaux. Aujourd’hui, cinq d’entre elles sont classées parmi les douze premières, à parité avec des géants américains comme Lockheed Martin ou Raytheon. Entre 2021 et 2023, l’industrie de défense chinoise a produit 400 avions de combat, 20 navires, et a doublé le nombre de missiles et d’ogives nucléaires du pays, tandis que les lancements de satellites militaires ont augmenté de 50 %. À lui seul, le chantier naval de l’île de Changxing, sur la côte est, est plus vaste que tous les chantiers navals américains réunis.
Quant à l’arsenal nucléaire, les Chinois visent la parité avec les Américains (et les Russes) d’ici 2035. D’ores et déjà, la Chine dispose d’un millier d’ogives nucléaires opérationnelles (contre 200 en 2019) et développe un arsenal complet de missiles balistiques, de croisière et hypersoniques, y compris un planeur hypersonique, le DF-17, conçu pour détruire les porte-avions américains qui tenteraient d’intervenir dans la région.
Au Pentagone, l’inquiétude monte face au rythme d’acquisition des matériels militaires en Chine, désormais six fois supérieur à celui des États-Unis. L’amiral John Aquilino, ancien chef d’état-major pour l’Indo-Pacifique, qualifie ce réarmement de « rapidité et ampleur sans précédent depuis 1945 ». Son collègue Frank Kendall, secrétaire à l’Armée de l’air, parle d’une Chine « qui se prépare à la guerre, et plus spécifiquement à une guerre contre l’Amérique ». Pendant ce temps, l’Amérique peine à remobiliser son industrie de défense, confrontée à un manque de main-d’œuvre qualifiée, à des surcoûts et à des retards chroniques dans ses grands programmes d’armement.
Pour les Européens, déjà tétanisés à l’idée d’un possible retour de Trump à la Maison Blanche, l’ampleur du réarmement chinois représente une autre très mauvaise nouvelle : elle annonce l’inévitable « pivot » de l’allié américain vers l’Asie. Et ce, quel que soit le vainqueur de l’élection présidentielle le 5 novembre…
Pierre Lellouche
Tribune VA 16/10/24