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Réflexions sur le naufrage du commerce extérieur de la France

Réflexions sur le naufrage du commerce extérieur de la France

De mon passage au Secrétariat d’État au Commerce Extérieur il y a douze ans, j’ai retenu un certain nombre d’enseignements, confortés par l’expérience d’une longue carrière tournée vers l’international. On voudra bien les trouver brièvement résumés dans la présente note.

 

1. L’ENJEU

Avec un budget intérieur en équilibre, un commerce extérieur en excédent constitue le marqueur le plus significatif de la santé, donc de la puissance d’un pays. Un solde excédentaire signifie que le pays concerné produit des biens industriels ou agricoles de qualité, que les autres nations souhaitent acquérir et consommer, les volumes ainsi exportés étant supérieurs aux produits ou biens importés de l’étranger.

La Chine ou l’Allemagne, champions à l’export, se sont ainsi installées au premier rang des nations les plus compétitives et les plus puissantes du monde. Elles sont perçues comme telles par l’ensemble de la communauté internationale. Toutes deux en tirent des bénéfices politiques évidents, en tant que puissances dominantes, la première dans le monde entier, la seconde sur le continent européen.

À l’inverse, un pays systématiquement en déficit, à l’intérieur comme à l’extérieur, voit son avenir, y compris politique, compromis en devenant l’otage des prêteurs ou des marchés. C’est hélas le cas de la France. Seuls les États-Unis, en raison du rôle du dollar, de leur capacité d’innovation inégalée et de leur rôle de protecteur militaire du monde occidental, peuvent se permettre (du moins jusqu’à présent) un gigantesque déficit budgétaire doublé de déficits commerciaux considérables.

La France, malheureusement, ne dispose pas de tels privilèges. Son budget est continûment en déficit, année après année, depuis 50 ans, la France finançant son train de vie par le recours sans cesse croissant à l’emprunt (de l’ordre de 300 milliards chaque année dans la dernière période). Aucun ménage, aucune entreprise ne pourrait se permettre une telle fantaisie un demi-siècle durant...

Mais il y a pire : parallèlement à son déficit budgétaire chronique, et pour satisfaire sa consommation intérieure, alors que son outil industriel n’a cessé de régresser, la France importe bien plus qu’elle n’exporte ses productions à l’étranger. Là encore, il s’agit d’un phénomène quasi permanent : à l’exception d’un petit nombre d’années à la fin des années 1990, le déficit commercial français est désormais une constante structurelle, extrêmement coûteuse puisqu’il atteint ou dépasse 100 milliards d’euros annuellement.

Une telle situation n’est pas sans risques aigus pour notre pays, d’autant que celui-ci a fait le choix d’inscrire son avenir dans une démarche d’intégration sans cesse croissante en Europe. La doxa française est de « faire en européen », de proposer sans relâche de bâtir une authentique « souveraineté européenne », et de compter sur le « couple franco-allemand » pour piloter l’ensemble européen.

Là réside toute la contradiction française : alors que nous avons choisi la voie de l’européisme, nous ne cessons de nous écarter des fameux « critères de convergence » corollaires de la monnaie unique auxquels nous avons volontairement souscrit à Maastricht : déficit budgétaire contenu à 3 % du PIB et endettement à 60 % au maximum dudit PIB. Avec respectivement 6 % et 112 %, nous sommes aujourd’hui bien loin du compte… Le décrochage avec l’Allemagne est flagrant : la dette allemande est deux fois moindre (63 %), tandis que son commerce extérieur dégage un excédent de 180 milliards face à nos 100 milliards de déficit. Un delta de 280 milliards d’euros, soit près de 10 points de PIB !

Un tel écart au sein de la même zone commerciale et monétaire n’est pas soutenable. S’il traduit des choix sociétaux différents (Schröder vs Jospin : outre-Rhin une économie basée sur le travail, la production et l’export, face à une France tournée vers la redistribution et la consommation intérieure), cet écart n’est pas sans entraîner des conséquences politiques considérables. Le fameux « couple » n’existe désormais plus que dans les rêveries des dirigeants français. De plus en plus, Berlin fait ses propres choix et dirige la machine européenne sans se préoccuper d’un partenaire désormais vu avec une condescendance de moins en moins dissimulée. En un mot, la direction, comme l’avenir de l’Europe, se décident désormais à Berlin… et chacun, en Europe comme à l’extérieur, l’a compris. Il y a belle lurette que la « Force de frappe » française, censée fonder la séniorité stratégique de Paris sur l’Allemagne, ne compense plus le décrochage économique de la France par rapport à son voisin…

 

 

2. LE PROBLÈME

Ce qu’il faut bien appeler le naufrage permanent de notre commerce extérieur trouve son origine dans cinq facteurs au moins, que l’on peut résumer ainsi :

  • Le choix sociétal d’une économie du guichet et du chéquier au service de la consommation de masse, et non de la production. Jérôme Fourquet lui a trouvé un nom : le « modèle stato-consumériste ». Ce modèle se traduit concrètement chez nous par la domination absolue de la grande distribution, avec l’explosion de chaînes de moins en moins chères, vendant des quantités massives de produits importés bas de gamme.
  • Parallèlement, la France se caractérise depuis plusieurs décennies par la destruction systématique de son outil industriel, résultat de l’indifférence ou de la complicité des pouvoirs publics, de la financiarisation de notre appareil économique, et d’une culture mercenaire des dirigeants, souvent issus de la fonction publique. On brade, mais on s’enrichit…
  • En dehors de quelques secteurs (l’armement, l’aéronautique ou le luxe), on constate l’érosion continue, voire la disparition de l’excellence et de l’innovation dans nos productions, deux critères majeurs de la compétition à l’export.
  • La disparition, depuis les années gaulliennes, d’une véritable politique industrielle. Les pouvoirs publics ont abandonné aux forces du marché le choix des secteurs prioritaires pour le pays. Les fleurons de l’industrie française ont été cédés à des groupes étrangers sans réaction de l’État, et des milliers de PME ont été vendues.
  • Enfin, nous avons volontairement abdiqué à l’Europe le contrôle de notre politique commerciale extérieure. Privée de l’option de la dévaluation dans le cadre de la monnaie unique, la France a également délégué à Bruxelles les décisions essentielles en matière de droits de douane et d’accords commerciaux.

Ces cinq facteurs sont bien entendu aggravés par les phénomènes bien connus que sont la fiscalité pesant sur nos entreprises, les charges sociales ou la durée du temps de travail, qui tous concourent à pénaliser davantage ce qui reste de notre tissu industriel (11 % du PIB, contre plus du double en Allemagne et en Italie).

Ajoutons un facteur culturel dévastateur par ses conséquences : l’individualisme à la française. Alors que sur les marchés étrangers, nos concurrents chassent en meute (tel grand groupe, comme la Deutsche Bahn, emmène avec lui tous ses sous-traitants sur un marché étranger), il n’en va pas de même en France. Le groupe français préfèrera, souvent par commodité, faire travailler des sous-traitants locaux plutôt que ses partenaires restés au pays.

Le même tropisme « gaulois » interdit toute politique de filière efficace à l’international. Dans l’agroalimentaire par exemple, alors que les producteurs allemands ou italiens se regroupent sous la même bannière nationale dans les principaux salons export, les producteurs français demeurent éparpillés aux quatre vents. De même, malgré mes exhortations en ce sens, je n’ai pas réussi à convaincre la filière viticole de travailler ensemble à l’export : les grands crus, champions à l’export, ignorant superbement le reste de la profession, condamnée à s’en remettre à des importateurs étrangers.

Le règne du chacun pour soi interdit aussi aux producteurs français de s’unir comme le font par exemple les Italiens avec « Eataly », vaisseau amiral de l’ensemble de la gastronomie italienne et des arts de la table de ce pays…

 

3. LES SOLUTIONS ?

De ce qui précède, plusieurs vérités paraissent incontournables :

  • La première est que le ministère du Commerce extérieur, chargé de l’accompagnement de nos exportateurs, est totalement impuissant à peser sur les causes structurelles de notre déficit permanent à l’international.
  • Le problème en France tient d’abord à la production : trop peu de produits innovants et de qualité susceptibles d’intéresser des consommateurs étrangers. En raison de nos choix sociétaux, reflétés dans notre fiscalité et notre coût du travail plus élevé que celui de nos compétiteurs, nous ne pouvons aller, comme la Chine, vers le bas de gamme. Nous devons viser l’excellence et l’innovation. Or le ministère du Commerce extérieur ne pèse en rien sur nos choix industriels ou agricoles. Quant aux industries qui réussissent à l’export (le luxe ou l’armement et l’aéronautique), celles-ci n’ont pas besoin du ministère, mais parfois de l’intervention politique (à l’Élysée…).
  • Le dispositif d’accompagnement du ministère est globalement satisfaisant. Nos postes à l’étranger, le réseau des Conseillers du Commerce extérieur, nos Chambres de commerce fonctionnent bien, avec des personnels dévoués et motivés. Le dispositif VIE est également une réussite. Il en va de même pour le dispositif d’assurance export.
  • Ce qui manque cruellement, c’est le nombre trop faible d’entreprises de taille moyenne susceptibles d’exporter. Ce qui implique de commencer sur le terrain, c’est-à-dire dans les régions, compétentes en matière de développement économique. D’où mon implication en région, lors de mon passage au ministère, pour sensibiliser les Présidents de région à la problématique export et les convaincre d’ouvrir des « guichets export » dans chaque région pour identifier et aider les PME à se lancer dans l’aventure de l’export. De même, je me suis efforcé de convaincre les grands groupes de prendre sous leurs ailes des PME françaises afin de mutualiser expérience et coûts.

Je note au passage que notre problème principal est bien l’appareil de production et la carence de la politique industrielle chez nous, et non je ne sais quel différend de politique extérieure qui handicaperait nos exportations. Alors, le rattachement du ministère du Commerce extérieur au Quai d’Orsay ne fait guère sens, sauf à satisfaire l’égo surdimensionné de tel titulaire du fauteuil de Vergennes… Il apparaît au contraire bien plus rationnel de rattacher ce ministère à l’endroit où sont prises les décisions économiques et industrielles, c’est-à-dire à Bercy.

Au final, Ministère ou Secrétariat d’État de second rang dans un domaine pourtant essentiel, le Commerce extérieur se contente de piloter un dispositif d’accompagnement de nos entreprises à l’étranger, sans peser sur les choix stratégiques industriels ou agricoles du pays. Son rôle n’est donc que très marginal, la politique commerciale extérieure (et notamment les droits de douane et les accords commerciaux) étant par ailleurs transférée à Bruxelles.

Le ministère n’apparaît que lors de la publication des données douanières sur notre déficit, d’où la tendance des titulaires de ce poste à enjoliver les résultats (en insistant sur le tourisme, bénéficiaire) ou sur le coût des importations énergétiques pour tenter d’atténuer l’ampleur de nos déficits. Chose que pour ma part j’ai refusé de faire, préférant dire la vérité aux Français sur l’état de notre appareil productif…

Pierre Lellouche - 10/10/24

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