Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

L’héritage d’un pape mondialiste face au retour des empires

L’héritage d’un pape mondialiste face au retour des empires

Par l’une de ces cruelles ironies dont seule l’Histoire a le secret, le hasard a voulu que le pape François ait consacré sa dernière audience, quelques heures à peine avant sa mort, au vice-président américain J. D. Vance.

« Le pape des pauvres » d’un côté, mais aussi le premier pape du « Sud global », l’avocat des migrants et des homosexuels, le défenseur de l’écologie et de Gaza ; et de l’autre, le porte-parole des « petits Blancs » de l’Ohio, victimes de la mondialisation, et le combattant anti-woke.

Le premier s’excusant pour les ravages commis par les conquistadores en Amérique du Sud ou lavant les pieds de migrants arabes ; le second, fraîchement converti au catholicisme, propulsé à la tête d’une Amérique redevenue tout à la fois nationaliste et impériale, qui érige des murailles douanières et des murs à la frontière mexicaine, voulant expulser des millions de migrants illégaux. Une politique dont l’auteur (Trump) « ne peut pas être chrétien » aux yeux de François…

Deux mondes donc, et deux visions de la chrétienté. Pour Steve Bannon, le théoricien MAGA, François était donc « l’ennemi », tandis que pour le président argentin ultralibéral Milei, ce pape n’était rien d’autre que « le représentant de la gauche du Mal », celui-là même qui en France est encensé par Mélenchon.

Le cardinal argentin avait été élu en 2013, au sortir de la grande secousse financière. Ses premières encycliques critiquent le capitalisme globalisé qui meurtrit les plus faibles (Evangelii Gaudium) et la destruction de l’environnement (Laudato Si’). Ses voyages, François les réserve en priorité à la périphérie (Albanie, Caucase, Afrique) et même au Moyen-Orient, à la recherche d’un accord, y compris avec le monde chiite (rencontre avec l’ayatollah Al-Sistani en Irak). Sa diplomatie, nourrie des représentants du Vatican dans 184 pays, est conçue comme une extension de l’évangélisation : en Afrique et en Asie d’abord, où le catholicisme se développe — passant de 2 à 2,5 milliards d’individus en 25 ans — face à un islam qui, lui, a progressé de 1,3 à 2,5 milliards de croyants pendant la même période. Elle cherche aussi à protéger les minorités chrétiennes locales, quitte à traiter avec les potentats locaux — Bachar el-Assad en Syrie, Xi Jinping en Chine — au risque de se fourvoyer… et d’échouer.

Elle boude en revanche l’Europe, cette « grand-mère fatiguée » (2014, devant le Parlement européen), qui devrait avoir « honte » de son rejet des migrants (voyages symboles à Lampedusa et Lesbos). Dès lors, aucun des grands pays catholiques d’Europe (France, Allemagne, Espagne) n’aura droit à une visite officielle du souverain pontife. Et quand il visite Marseille, François prend grand soin de dire publiquement « qu’il ne vient pas en France, mais à Marseille », sous-entendu, la deuxième ville d’Algérie…

Car cette diplomatie vaticane, François la conçoit comme faisant de l’Église « l’hôpital de campagne du monde », au service d’une humanité blessée. D’où nombre d’incohérences et de revers, y compris lorsque François offre sa médiation au Venezuela, au Soudan du Sud ou en République centrafricaine, alors qu’il ignore le nettoyage ethnique des Arméniens du Karabakh par l’Azerbaïdjan. Ou d’incompréhension, lorsque François, après avoir reconnu l’État palestinien, met — s’agissant de la guerre de Gaza — le Hamas et l’État juif sur un pied d’égalité…

Quant à la guerre en Ukraine, François a longtemps préféré dialoguer avec le patriarche Kirill, son homologue moscovite, farouche militant de la guerre en Ukraine. Une guerre que François attribuait, au grand dam des Européens de l’Est, « aux aboiements de l’OTAN aux portes de la Russie », et que les Ukrainiens, selon lui, devraient cesser en « hissant le drapeau blanc ». On est loin de Jean-Paul II et de sa croisade anti-soviétique…

Aux prises avec le chaos du monde de l’après-guerre froide, avec la multiplication des conflits armés et le retour des empires, le successeur de François devra trouver le chemin pour que perdure le message de paix du christianisme. Sans cette fois tourner le dos à l’Europe, qui en fut longtemps le berceau ; sans sous-estimer non plus l’immense défi migratoire auquel elle se trouve confrontée ; sans sous-estimer enfin la menace d’un monde islamique travaillé par la radicalisation et la volonté de revanche et de reconquête sur l’Occident judéo-chrétien.

 Pierre Lellouche
Tribune VA – 24 avril 2025

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M
Excellent comme toujours. Mais sur ce sujet délicat, l'analyse est particulièrement fine et sans faux-semblant, ce qui la rend d'autant plus pertinente.<br /> J.P.M
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M
Les cardinaux entreront en conclave le mercredi 7 mai 2025.<br /> Ils devraient tous lire votre article d’ici là…<br /> Espérons qu’une décision de bon sens sera prise au sein de ce conclave.<br /> Espérons que le pape qui sera élu, ne manque pas de prendre en compte des propos tels que les vôtres, d’ailleurs très justes.<br /> Espérons que des réflexions telles que formulées dans votre conclusion, servent de boussole au nouveau pape.<br /> Espérons que ce soit quelqu’un qui sache montrer le chemin vers la paix.<br /> Espérons que ce soit quelqu’un qui comprenne les souffrances de notre Vieux continent et de l’Occident judéo-chrétien tout entier.<br /> Espérons enfin que tout cela ne reste pas qu’un vœu pieux…<br /> La venue de J.D. Vance en dernière instance - et quelle cruelle coïncidence, effectivement - sera-t-elle interprétée comme un signe ?<br /> <br /> Marion Winter, le 01/05/2025
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P
Merci pour ces réflexions qui portent l'espérance.
B
Ce Pape jésuite disciple de la "théologie de la libération", longtemps combattue par l'Eglise et finalement reconnue! Va comprendre... Le prochain Pape sera homosexuel? transgenre? issu des Frères musulmans? Tout ça à la fois? Au point où on en est!
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