Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
2 Juillet 2025
Venue percuter la guerre d’Ukraine, qui elle est entrée dans sa quatrième année, la guerre israélo-iranienne commencée le 7 octobre 2023 à Gaza, confirme trois leçons stratégiques principales qui mériteraient d’être méditées par ceux qui ont en charge la défense de la France et la sécurité des Français.
Toutes trois sont porteuses de bien mauvaises nouvelles quant à la pertinence tant de notre doctrine que de notre outil de défense nationale.
La première, déjà apparue en Ukraine, est que la présence de puissances nucléaires sur un théâtre d’opérations n’empêche pas la guerre.
En Ukraine, comme je l’ai démontré dans mon livre récent « Engrenages », la présence de pas moins de quatre puissances nucléaires (États-Unis, Russie, Royaume-Uni et France) n’a nullement évité la guerre, ni près de 1,4 million de tués et blessés des deux côtés.
De même au Proche-Orient, la totalité des pays de la région, y compris l’Iran, savent que qu’Israël est de longue date une puissance nucléaire. Cela n’a nullement empêché la guerre indirecte menée par les terroristes du Hezbollah ou du Hamas, ni les tirs de centaines de missiles iraniens dès 2024 directement contre le territoire israélien.
Leçon n° 1 donc : la possession de l’arme nucléaire n’empêche pas la guerre. C’est une leçon extrêmement désagréable pour nous Français qui sommes habitués au dogme rassurant de la dissuasion pure, qui veut que si un adversaire s’en prenait aux « intérêts vitaux » de la France, il aurait la certitude d’être immédiatement détruit.
Le problème, c’est que ce genre de discours peut être contourné, comme on l’a vu, par des guerres hybrides, par le terrorisme, voire par des guerres classiques.
Ce qui mène à la deuxième leçon capitale, et qui elle aussi mériterait d’être méditée de toute urgence par nos responsables politiques et militaires.
La guerre d’Ukraine a révélé la révolution tactique et stratégique que représente l’irruption du drone. Mais elle a montré aussi l’importance majeure des missiles balistiques à moyenne portée (500 à 2000 km) sur le champ de bataille, comme dans les frappes contre des cibles stratégiques ou des cibles « molles », c’est-à-dire des centres urbains.
Drones et missiles ont remplacé l’artillerie. Les États se font la guerre conventionnelle à plusieurs centaines de kilomètres, voire à plusieurs milliers de kilomètres de distance. Un jour ou l’autre, ces armes seront de l’autre côté de la Méditerranée, et menaceront directement la France — et l’Europe.
Or la France, comme l’Europe, ne font que démarrer leur programme de drones et leurs programmes balistiques ! Plus grave encore, la France, comme l’Europe, sont littéralement nues, sans défense anti-aérienne digne de ce nom.
Trente années de désarmement budgétaire unilatéral, couplées à la certitude que la guerre appartenait à un autre temps, ont fait que nous n’avons quasiment pas de défense anti-missiles et que, de surcroît, nous sommes totalement divisés entre Européens quant à la construction d’un système de défense commun.
Au lieu de travailler ensemble et de privilégier la technologie européenne, deux camps s’affrontent : d’un côté, Français et Italiens sont alliés dans un programme commun SAMP/T Mamba ; de l’autre, le programme Sky Shield, lancé par les Allemands, qui ont rallié autour d’eux une vingtaine de pays.
Les deux systèmes sont multicouches et répartis en trois zones : courte portée, moyenne portée et exo-atmosphérique, sauf que les Français alliés aux Italiens proposent des solutions européennes, MBDA et Astrium pour l’exo-atmosphérique. Tandis que les Allemands ont déjà investi 3,5 milliards d’euros en septembre 2023 pour un système exo-atmosphérique israélien calqué sur l’Iron Dome, le Patriot américain pour la moyenne portée, et le système allemand Iris-T pour la courte portée.
La rupture est donc consommée et augure mal du reste des coopérations en cours d’examen, comme par exemple sur le futur avion de combat, SCAF…
La dernière leçon est plus embarrassante encore, puisqu’elle concerne la protection des populations elles-mêmes.
Au 18 juin, Israël avait subi l’attaque de 400 missiles balistiques et de 1000 drones. Ces attaques visaient essentiellement des populations civiles, mais elles n’ont fait à l’arrivée que 24 morts et 500 blessés, alors qu’on aurait pu imaginer des pertes bien plus importantes.
L’explication, en plus de l’efficacité de la défense anti-aérienne, tient en deux mots : défense civile.
Or, ce qu’on appelle pompeusement en France la stratégie de « résilience nationale », lointaine héritière de la DOT (Défense Opérationnelle du Territoire), n’existe que dans les textes — et notamment dans une ordonnance de 1959 — mais certainement pas dans la réalité.
Contrairement aux Israéliens, qui construisent systématiquement des abris dans chaque maison ou chaque appartement, contrairement aussi aux Finlandais, aux Suédois et même aux Allemands, la France a choisi de faire totalement l’impasse sur la défense des populations civiles, au nom de la « dissuasion pure », avec cette idée baroque qui est que plus on est vulnérable — plus on laisse la mère de famille et sa poussette sous le feu de l’ennemi —, plus l’ennemi sera convaincu de la certitude de notre riposte.
Et ainsi, on évitera la guerre…
Pierre Lellouche
19/6/25
Les Chantiers de la Liberté - Pierre Lellouche
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