Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
5 Novembre 2025
ENTRETIEN. Alors que les regards du monde entier se tournent vers Gaza, depuis deux ans une guerre se déroule dans une quasi-indifférence : celle du Soudan. Les Forces de soutien rapide (FSR), ont pris le contrôle de la ville d’El Fasher après un siège interminable. Les ONG dénoncent des massacres, des viols, des famines : 150 000 morts, 13 millions de déplacés.
Par Solène Grange
Publié le 5 novembre 2025 à 9h00
Pierre Lellouche. Parce que c’est une guerre que presque personne ne comprend. Le pays a déjà connu deux grandes guerres civiles depuis son indépendance, et celle que nous voyons aujourd’hui en est une nouvelle prolongation. C’est un enchevêtrement de luttes tribales, ethniques et religieuses, auxquelles s’ajoute une dimension politique régionale. À El-Fasher, par exemple, les Forces de soutien rapide (FSR) ont encerclé la ville pendant des mois, condamnant des dizaines de milliers de civils à mourir de faim. C’est une tragédie humaine totale, mais le monde ne regarde pas. Le Soudan n’a ni pétrole pour l’Europe, ni importance géopolitique directe : c’est un drame sans auditoire.
Ce qui est frappant, c’est le contraste. On compte aujourd’hui près de 14 millions de déplacés, au moins 150 000 morts, des villes entières encerclées, des populations affamées… Et pourtant, personne ne s’y intéresse. Tout le monde a les yeux rivés sur Gaza. Les bombardements à Gaza indignent les opinions publiques du monde entier, mais pas les massacres au Darfour.
Absolument. Le Soudan est un pays d’une complexité extrême. Tout le monde est noir, mais certains groupes se considèrent comme « arabes », d’autres non, et ces distinctions internes nourrissent une violence inouïe. Aujourd’hui, les forces dites « arabes » tiennent plutôt le sud du pays, tandis que l’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, contrôle Khartoum et le nord. Les Émirats arabes unis soutiennent fortement les FSR, tandis que d’autres pays arabes, notamment l’Égypte, appuient Al-Burhan. On retrouve une configuration proche de celle de la Libye : deux blocs régionaux qui s’affrontent par généraux interposés.
Pour comprendre cette guerre, il faut remonter à 2019. Après trente ans de dictature d’Omar el-Béchir – un tyran sanguinaire, qui avait hébergé Ben Laden au Soudan – le pays espérait une transition civile. Mais cet espoir a été vite écrasé : l’armée a repris le pouvoir. Deux chefs militaires, Al-Burhan pour l’armée et Hemedti pour les FSR, se sont partagés le pays avant de s’entre-déchirer pour le contrôle de l’État. C’est le prolongement des guerres précédentes : depuis 1955, le Soudan n’a presque jamais connu la paix.
Très peu. Les Américains se sont un temps mêlés du dossier, notamment pendant la guerre du Darfour. Mais aujourd’hui, les acteurs principaux sont régionaux : les Émirats d’un côté, l’Égypte et la Turquie de l’autre. Personne ne veut s’engager dans ce chaos, car c’est un conflit incompréhensible, sans issue claire. J’étais sur place pendant la guerre du Darfour : j’ai entendu Omar el-Béchir menacer ouvertement la France de représailles terroristes si un soldat français posait le pied au Soudan. Ce souvenir illustre bien pourquoi personne ne veut se risquer à intervenir. Et puis soyons honnêtes : la France a d’autres crises à gérer. Le Soudan, c’est loin, compliqué, sans retombées politiques directes. On laisse donc les choses suivre leur cours, au détriment des civils.
Oui. Ce qui me frappe, c’est le double standard. Le monde entier s’indigne face à Israël, considéré comme un État génocidaire, mais personne ne manifeste pour le Soudan. Il n’y a pas d’Al Jazeera pour relayer la cause, pas de mobilisation intellectuelle, pas de réseaux militants. Parce que c’est une guerre entre musulmans. Comme dit le vieux proverbe anglo-saxon : « No Jews, no news. » S’il n’y a pas de Juifs au milieu, ça n’intéresse personne. C’est spectaculaire : pas une manifestation, pas un cri d’alarme. Quelques pancartes isolées, mais rien de comparable avec la mobilisation mondiale pour Gaza.
Oui, quand il aura retrouvé une certaine stabilité. Le Soudan demeure un pays immense, riche en or, en uranium, en pétrole, en gaz – des ressources dont profitent des chefs de guerre devenus immensément riches, pendant que les civils meurent. Le pays a été kidnappé depuis l’indépendance par des militaires, souvent islamistes, et n’a jamais connu de véritable stabilité. Les civils, eux, sont pris en étau entre des milices qui commettent des atrocités dans l’indifférence générale.
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Pierre Lellouche : " Personne ne manifeste pour le Soudan "
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Les Chantiers de la Liberté - Pierre Lellouche
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