20 Avril 2024
Après l’orage et la pluie de missiles lancés par l’Iran contre Israël dans la nuit du 13 au 14 avril, une drôle de trêve, aussi instable que précaire, semble s’être installée entre les deux belligérants. Aux échecs, jeu dont les Iraniens se flattent de l’avoir inventé au VIe siècle sous le nom de Chatrang, on serait tenté d’appeler cela un « pat », une situation où un des deux joueurs, après avoir joué un coup, propose le match nul et l’adversaire peut accepter ou refuser avant de jouer à son tour. Ni vainqueur, ni vaincu, donc. La partie est nulle.
Sauf que le régime théocratique de Téhéran, qui après avoir pour la première fois attaqué directement Israël et annoncé après coup que pour lui « l’incident était clos » — cela, si Israël ne ripostait pas — n’a en fait nullement proposé le match nul. Bien au contraire, la destruction pure et simple de l'État d'Israël est son ADN depuis 45 ans et le demeure. Quant à la guerre, menée en permanence, mais jusqu’ici par « proxy », elle est la condition de la survie d’un régime kleptocrate, par ailleurs honni par l’immense majorité de son peuple, de la jeunesse, des femmes, que sa milice des Gardiens de la Révolution réprime sans pitié.
En attaquant Israël, les Iraniens ont voulu bien sûr « marquer le coup » après l’attaque israélienne subie par leur consulat à Damas deux semaines auparavant. Mais ils l’ont fait de façon calibrée, en ne ciblant pas la population civile et en prévenant à l’avance, si bien que 75% des engins ont pu être interceptés avant d’atteindre l’espace aérien israélien. Ce faisant, le régime de Téhéran indiquait qu’il ne souhaitait pas d’escalade à une guerre régionale, pour une raison capitale : préserver son programme nucléaire, l’atout maître du régime, alors même que Téhéran est au seuil de la bombe, ayant réussi à fabriquer suffisamment d’uranium militaire pour au moins trois bombes atomiques.
En revanche, les Iraniens ont démontré qu’ils possédaient un impressionnant arsenal de missiles de tous types, dont des missiles balistiques, certains quasi hypersoniques et équipés de têtes manœuvrables (MARV), signalant qu’en cas de guerre générale, des dommages considérables pourraient être infligés au minuscule territoire israélien. Au moins sept de ces missiles ont d’ailleurs atteint la base de Nevatim dans le sud d'Israël, non loin de la centrale nucléaire de Dimona.
La riposte israélienne était donc extrêmement difficile : les militaires, pourtant politiquement modérés, comme Benny Gantz et Gadi Eisenkot voulaient faire décoller le soir même les F-35 pour frapper les installations nucléaires iraniennes. Et le sachant, Biden a pesé de tout son poids sur Netanyahu pour stopper l’escalade. Des Américains, par ailleurs furieux de ne pas avoir été prévenus de l’attaque israélienne du consulat de Damas, alors même qu’ils avaient déjà subi trois morts et cent blessés parmi leurs soldats basés en Syrie et en Irak, lors de précédentes représailles de milices chiites pro-iraniennes.
Au final, Netanyahu a donc préféré temporiser par une riposte modeste mais habile, contre une base iranienne à Ispahan, mais à partir du territoire iranien.
En terre Sainte, où l’on aime se référer à la Bible, certains ont voulu rappeler comment le Roi David avait voulu épargner le Roi Saül, qui pourtant avait lancé contre lui une armée entière pour le tuer. David a choisi de couper un pan du manteau de son ennemi, plutôt que de le supprimer : « Regarde Père, regarde donc : voici dans ma main le pan de ton manteau. Puisque j’ai pu le couper, et que pourtant je ne t’ai pas tué, reconnais qu’il y a en moi ni méchanceté, ni révolte. Je n’ai pas commis de fautes contre toi alors que toi tu traques ma vie pour me l’enlever. C’est le Seigneur qui sera Juge entre toi et moi, le Seigneur me vengera de toi, mais ma main ne te touchera pas. » (1 Samuel, 24, 4–10 ; 12–13).
Pas sûr cependant que le Livre Saint soit de nature à prévenir, un jour ou l’autre, l’apocalypse qui menace…
Pierre Lellouche,
Tribune VA, 20/4/24