29 Octobre 2023
Brutalement confrontée au choc de la guerre à Gaza, l’Europe confirme, une nouvelle fois, non seulement son insignifiance géopolitique, mais aussi, et plus inquiétant, la perte de ses repères moraux ainsi que la vacuité de ses prétendues « valeurs ».
D'abord, l’insignifiance. Le Traité de Lisbonne, adopté en 2009, cherchait à répondre à la question ironique d'Henry Kissinger : « Quel est le numéro de téléphone de l’Europe ? ». Pour y répondre, un cadre institutionnel nouveau fut créé : un Président permanent du Conseil européen, représentant les États (actuellement Charles Michel), et un Service d’action extérieure sous la direction d’un Vice-président de la Commission, censé incarner le « ministre des Affaires étrangères » de l’Europe (Josep Borrell). Ces deux personnalités cohabitent avec la présidence de la Commission (Ursula von der Leyen).
Force est de constater que ce triumvirat peine à convaincre, éclipsé par des détestations personnelles, d’incessantes querelles d’ego et de territoires bureaucratiques, offrant, en pleine guerre, l’image déplorable de disputes permanentes.
Ainsi, von der Leyen, s’autoproclamant chef de guerre en Ukraine dès le 22 février 2022, sans disposer de la moindre prérogative dans ce domaine, s'est propulsée à Jérusalem dès le lendemain de l’attaque du 7 octobre, sans prévenir ni consulter quiconque, pour apporter son soutien total à Israël et proclamer son « droit de se défendre ». Cependant, la Présidente de la Commission n'avait pas la compétence pour s'exprimer au nom des 27 et, aggravant son cas, n’a pas eu un mot pour les Palestiniens bombardés, ce qui lui fut immédiatement reproché à Bruxelles et dans plusieurs capitales européennes.
La confusion fut accentuée par Oliver Varhelyi, commissaire en charge de l’élargissement et de la politique de voisinage, qui annonça, sans consulter quiconque, le gel immédiat de l’aide européenne aux Palestiniens (300 millions d’euros par an), avant d’être désavoué par ses collègues. L’annulation se transforma en suspension, puis en réexamen, avant d'annoncer une aide humanitaire d’urgence.
Les différences d’intérêt entre les principales capitales européennes devinrent évidentes à mesure que le conflit évoluait. Entre les chefs de gouvernements qui se rendirent immédiatement à Tel-Aviv - sans coordination aucune, bien sûr - et ceux qui préférèrent rester chez eux, s'ajoute la visite plus tardive d’Emmanuel Macron. Ce dernier, sans consulter personne, proposa l’élargissement de la Coalition internationale anti-Daesh à la lutte contre le Hamas, une proposition largement ignorée en Europe, aux États-Unis et dans le monde Arabe.
Au sommet des 27 consacré à Gaza, aucune position commune ne put être adoptée. Et lors du vote de la résolution de l’Assemblée générale sur la « trêve humanitaire », qui ne mentionnait ni « Hamas », ni « otage », le Royaume-Uni et l’Allemagne refusèrent de s’y associer, tandis que la France décida de la voter, cherchant à éviter une importation du conflit sur son sol.
L’« importation » du conflit révèle le problème posé par l’implantation d’au moins trente millions de musulmans en Europe et la crainte du terrorisme islamique. La « rue arabe » est désormais aussi une rue européenne, mobilisée en défense des Palestiniens. Au-delà des nombreuses manifestations partout en Europe, cette guerre provoque des clivages politiques nouveaux, surtout à gauche, où la cause palestinienne devient un marqueur politique clé.
Dans ce débat passionné, certains élus musulmans démissionnent, dénonçant des directions pro-sionistes, tandis qu'en France, certains s'illustrent par des attaques contre Israël et ses soutiens. La confusion engendrée conduit à un antisémitisme amplifié par les réseaux sociaux, dépassant l'anti-sionisme pour revenir à la haine des juifs, un résultat tragique non seulement pour la cause palestinienne mais aussi pour l’Europe, censée enterrer définitivement ce passé.
Pierre Lellouche, 29/10/23