Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

​​​​​​​En Europe, Xi joue au « Go », et Macron est déjà « atari »

 

La légende veut que le jeu de Go ait été inventé il y a 4000 ans en Chine. Les rares amateurs occidentaux savent qu’il s’agit d’un jeu de conquête territoriale qui se joue sur un tablier en bois, quadrillé de 19 lignes verticales et 19 lignes horizontales, sur lesquelles deux joueurs placent, à tour de rôle, des pierres blanches et noires. Ces pierres marquent les territoires gagnés, et, quand on parvient à encercler les soldats adverses, ceux-ci sont pris en otage et retirés du champ de bataille : ils sont « atari ». Le gagnant est, bien sûr, celui qui a conquis le plus de territoires et capturé le plus de prisonniers ennemis.

Xi conduit la géopolitique de la Chine selon les règles du Go. En mer de Chine du Sud, autour de Taïwan, en prenant pied sur les îles lointaines du Pacifique (y compris les nôtres, Tahiti et Nouvelle-Calédonie), dans l’océan Indien (Pakistan, Maldives, Djibouti) et, bien sûr, en Europe, il s’agit à chaque fois de conquérir des points d’appui (ports du Pirée, Hambourg, Anvers, Rotterdam, Le Havre, Fos…, aéroports, réseaux de communication). Cela afin d’éliminer les concurrents adverses, d’assurer la domination des produits mais aussi du modèle politique chinois, présenté comme l’alternative à la fois efficace et pacifique au modèle occidental, décadent et belliqueux.

La tournée de Xi, la semaine passée, était de ce point de vue parfaitement limpide : faire de la Hongrie et de la Serbie les plates-formes avancées de la Chine face à l’UE, d’où les infrastructures massives (train Belgrade-Budapest, mégausines de véhicules électriques chinois, matières premières…) et jouer sur la fibre gaullienne française pour enfoncer un coin entre l’Europe et les États-Unis. Car l’ennemi est bien sûr Washington, que Pékin vaincra s’il parvient à diviser ses alliés, ou mieux, à les contrôler.

D’un autre côté, si l’on peut comprendre sans peine l’empressement des leaders hongrois et serbes, Orban et Vučić, à jouer à fond la carte chinoise contre Bruxelles, on a quelque difficulté à comprendre ce qu’Emmanuel Macron a voulu jouer en recevant Xi en visite d’État à Paris. Apparemment, le président français ne maîtrise pas les règles du Go et s’est vite retrouvé « atari », triplement piégé par ses propres erreurs de positionnement.

La première et principale préoccupation de Macron, l’Ukraine, se solde par un échec total sur toute la ligne : non seulement la Chine va continuer, sinon à armer directement la Russie, du moins à lui transférer les machines-outils, les microprocesseurs et autres technologies nécessaires à 90 % de son effort d’armement (cela sans parler du gaz et du pétrole russes achetés en Russie au mépris des sanctions occidentales), mais surtout, par son insistance à quémander une intervention chinoise sur Poutine, Macron conforte la stratégie de Pékin, faisant de la Chine un participant direct à l’architecture de sécurité en Europe, un rôle que nous n’avons absolument pas en Asie.

La seconde faute de Macron consiste à abdiquer la question cruciale de nos déficits commerciaux avec la Chine (40 milliards, soit près de la moitié de notre déficit extérieur), à la « patronne », Ursula von der Leyen. D’où vient que le président français se sente obligé de se faire accompagner de la présidente de la Commission, dès lors qu’il s’adresse à une grande puissance ? Triste aveu d’une soumission volontaire, très éloignée de l’héritage du Général dont on célébrait précisément la reconnaissance de la Chine il y a 60 ans…

Troisième erreur : la tension permanente entre l’Ukraine et Taïwan. Lors de son dernier voyage en Chine en avril 2023, Macron avait créé une sorte de mini tempête diplomatique en laissant entendre que l’Europe devrait rester neutre en cas de conflit à Taïwan. Mais comment peut-on être atlantiste en Ukraine en comptant sur l’aide américaine, et neutre à Taïwan ?

 

Pierre Lellouche

Tribune VA, 12/5/24

 

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