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L’Amérique de Trump sur trois fronts

L’Amérique de Trump sur trois fronts

« J’arrêterai les guerres. » Dans son discours de victoire à Palm Beach, Donald Trump, à peine élu, a résumé en quelques mots simples le fond de sa politique étrangère : protéger le pays et éviter les guerres. Reste que la nouvelle administration va devoir faire face immédiatement aux trois fronts, comme autant de défis, qui l’attendent : en Ukraine, au Proche-Orient et en mer de Chine.

Premier front : l’Ukraine. Ici, le temps et la fureur des armes ont fait leur œuvre, et la photo qui émerge du champ de bataille après 3 ans de guerre et un million de tués et de blessés des deux côtés, n’est pas bonne. Clairement, l’Ukraine ne peut plus gagner cette guerre que Trump a toujours pensée évitable, à juste titre, si gagner signifie expulser l’armée russe des 20 % du territoire ukrainien qu’elle occupe et que le Kremlin a déjà annexés. Plus assez d’hommes, plus assez d’armes et d’argent occidental, face à une Russie en économie de guerre et qui avance inexorablement appuyée par ses alliés chinois, nord-coréens et iraniens. Trump devra convaincre Kiev de se résigner à perdre les quatre oblasts du Donbass en plus de la Crimée… et Poutine d’en rester là. La négociation consacrera un nouveau statu quo territorial le long des 1 000 km de la ligne de front, que bien entendu, ni l’Ukraine, ni les Occidentaux ne reconnaîtront, comme jadis ils n’avaient pas reconnu la partition de l’Allemagne. Restera le plus difficile : le statut de neutralité de l’Ukraine, exigence constante des Russes depuis le début, et surtout les garanties de sécurité apportées à l’Ukraine par la communauté internationale, en clair essentiellement les Européens, car Trump aura d’autres priorités…

Le deuxième front : la guerre du Proche-Orient, dans laquelle l’Amérique est encore plus impliquée qu’en Ukraine, avec d’importants moyens militaires sur le terrain, alors même que cette guerre lui échappe totalement. Netanyahu, qui attendait le retour de Trump, a conduit seul sa guerre depuis le 7 octobre 2023, ignorant les recommandations et des appels au cessez-le-feu répétés de Biden. Stopper la guerre à Gaza, libérer les otages encore en vie et secourir la population gazaouie, trouver une nouvelle direction politique pour l’enclave, ne sont pourtant qu’une petite partie du problème. Restera aussi à finir l’autre guerre, celle contre le Hezbollah, sécuriser la frontière libanaise et rebâtir si possible un nouveau Liban, libéré de l’emprise iranienne. Et pour couronner le tout, empêcher un embrasement général de la région en cas d’affrontement direct à grande échelle entre Israël et l’Iran, embrasement qui pourrait cette fois impliquer directement les États-Unis, notamment en cas d’attaque contre les sites nucléaires iraniens…

Mais ces deux guerres ne sont que des hors-d’œuvre face à la compétition suprême, celle qui dominera les prochaines décennies entre les États-Unis et la Chine. C’est là que se jouera le sort de l’Amérique et la domination du monde. La Chine, et Trump l’a bien compris, est le seul vrai rival de l’Amérique : politique, économique, technologique, financier et désormais militaire. Trump va faire face à un Indo-Pacifique profondément bousculé par l’énormité du réarmement militaire entrepris systématiquement depuis 20 ans sous l’impulsion de Xi Jinping. Une région où les Chinois ont mis en place une redoutable stratégie d’interdiction à toute puissance extérieure, à commencer bien sûr par les États-Unis : une « doctrine Monroe version Xi », en quelque sorte. Le Pentagone vient de mesurer, par exemple, l’ampleur du réarmement chinois sur l’île de Hainan. Située à l’est du Vietnam, Hainan avec ses montagnes pittoresques et ses eaux turquoises était le Hawaï des vacanciers chinois. Après 50 milliards de dollars d’investissements militaires en 20 ans, elle abrite désormais deux bases navales, dont une base de sous-marins nucléaires, un porte-avions, un site de lancements spatiaux, des silos de fusées intercontinentales, etc.

Pour l’Amérique, l’heure du pivot vers l’Asie est arrivée. Comme une très mauvaise nouvelle pour les deux autres fronts…

 

Pierre Lellouche

Tribune VA, 6/11/24

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