Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Guerre hybride ou drôle de guerre ?

Guerre hybride ou drôle de guerre ?

La guerre en Ukraine a changé de nature : moins militaire que politique, elle se joue désormais hors du champ de bataille, sur le plan géopolitique et stratégique, entre la Russie, les États-Unis et les Européens.

 

En février prochain, la guerre d’Ukraine entrera dans sa cinquième année ! À mesure qu’elle dure, la guerre change de nature et menace de dégénérer à l’échelle du continent tout entier.

Elle ne se joue plus vraiment sur la ligne de front, essentiellement paralysée par la guerre des drones, ni même à l’usure, alors que des deux côtés, on est passé à des frappes à longue distance contre les infrastructures critiques (Ukraine) ou contre les populations civiles (Russie). Son issue se joue ailleurs : sur le champ politique entre Russes, Américains et Européens.

C’est ici que l’irruption de Donald Trump au début de l’année a profondément changé la donne. Au départ, Trump était convaincu de régler rapidement cette affaire par un « deal » avec son collègue russe, en s’asseyant littéralement sur Zelinsky (dès février), et en offrant à Poutine ce qu’il souhaitait, à savoir les territoires de Crimée et du Donbass, et en prime un statut de neutralité pour l’Ukraine, hors OTAN. En échange, Trump espérait un cessez-le-feu, puis un accord de paix.

Las, à Anchorage, le 15 août, Trump n’obtint ni l’un, ni l’autre. Depuis, Trump, tout en multipliant les déclarations contradictoires, a en fait renoncé à son rôle de faiseur de paix dans ce conflit, préférant se concentrer sur Gaza et le Proche-Orient. Quant à l’Ukraine, Trump s’en lave les mains et « souhaite bonne chance aux deux parties ». Sa position est simple : l’aide financière et surtout militaire des États-Unis est purement et simplement stoppée. Trump veut bien continuer à fournir des armes, mais à condition que celles-ci soient préalablement achetées et payées par les Européens, avant d’être livrées par eux aux Ukrainiens.

De même, Trump n’exclut pas de nouvelles sanctions contre la Russie, allant même jusqu’à des droits de douane de 100 % contre les principaux acheteurs d’hydrocarbures russes, à savoir la Chine et l’Inde, mais là encore à la double condition que les Européens cessent eux-mêmes d’acheter du gaz russe et surtout qu’ils sanctionnent pareillement la Chine et l’Inde. Deux conditions dont Trump sait fort bien qu’elles ne seront jamais réalisées. Concrètement — et les Ukrainiens, comme les Russes l’ont parfaitement compris — : Trump est sorti du jeu.

Restent alors les Européens. C’est sur eux que les belligérants exercent désormais l’essentiel des pressions. Kiev veut entamer au plus vite les négociations d’adhésion à l’UE, et surtout attend de Bruxelles les financements nécessaires pour continuer la guerre, à minima 60 milliards pour 2026 et autant pour l’année suivante. Or cet argent n’existe pas, la plupart des États étant, comme la France ou l’Italie, fortement endettés, tandis que l’Allemagne préfère se concentrer sur son propre réarmement.

 Il existe bien une solution, ou plutôt une tentation : saisir des avoirs russes bloqués en Belgique (chez Euroclear), soit près de 200 milliards d’euros, et financer ainsi les besoins de l’Ukraine pour les deux ou trois prochaines années. L’ennui, même en rebaptisant cet argent en « fonds de réparations de guerre », comme on l’envisage à la Commission, c’est de ruiner toute confiance dans le droit financier international, de risquer des poursuites russes (ce que redoutent les Belges), et surtout de compromettre un peu plus les chances des pays très endettés comme la France de trouver des prêteurs étrangers…

L’autre pression est sécuritaire. Les Russes, grâce à Trump, ont obtenu une cassure totale entre Européens et Américains ; il leur reste à casser le front européen, déjà fragilisé par la Hongrie et la Slovaquie, afin d’isoler définitivement l’Ukraine de l’après-guerre, ce qui est le but de guerre fondamental de Poutine. Pour cela, les Russes multiplient les attaques hybrides sans jamais les revendiquer, bien entendu : incendies de dépôts d’armes, tentative d’assassinat contre le patron de Rheinmetall, survols de drones, voire d’avions de chasse au-dessus des États baltes, du Danemark, de la Pologne et même de l’Allemagne. Avec un double résultat déjà acquis : d’une part, la démonstration que l’Europe n’a pas de défense aérienne digne de ce nom ; d’autre part, que les Européens sont divisés sur la conduite à suivre.

Faut-il traiter ces différents événements comme un aveu d’impuissance de la Russie, qui montre en fait qu’elle craint de passer à un affrontement direct ? En somme, la dissuasion de l’OTAN et de l’Europe fonctionne.

Ou tout au contraire comme le début d’une nouvelle « drôle de guerre » annonciatrice d’un conflit généralisé en Europe, que certains services prévoient pour 2030 ?… Dans le premier cas, on se prépare, mais l’on se garde d’escalader le conflit. Dans l’autre, on tire pour se faire respecter, au risque de voir la situation déraper hors de tout contrôle…

Une situation qui survient en tous cas au pire moment pour le navire France, privé de capitaine et de combustible…

Pierre Lellouche — 8/10/

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M
Monsieur le Ministre, une nouvelle fois, vous avez entièrement raison. La situation reste très préoccupante et on ne sait même plus comment qualifier cette guerre.<br /> L’Occident se déchire encore et encore. Inutilement. Bêtement.<br /> L’Europe poursuit ses gesticulations belliqueuses et donc sa politique de suicide collectif.<br /> On essaie de faire taire les voix dissonantes. Les populations ne sont pas consultées.<br /> Clausewitz nous a bien expliqué (et il faut le répéter) qu’une guerre sans but ne se conçoit pas…<br /> Mais la guerre continue. Le bain de sang aussi.<br /> Pourquoi ? Quel est notre but dans cette guerre qui fait autant de mal à notre Vieux Continent ?<br /> Au départ, nos dirigeants étaient dans un suivisme aveugle de l’administration Biden. Mais Biden n’est plus là et Trump voulait arrêter cette guerre au plus vite…<br /> Est-ce pour sauver le soldat Zelensky, quoi qu’il en coûte ?<br /> Zelensky a été élu en 2019, et bien élu en plus.<br /> Il promettait deux choses avant tout :<br /> • Qu’il allait arrêter la guerre dans le Donbass qui y fait rage depuis 2014<br /> • Qu’il allait lutter contre le fléau majeur du pays qui est la corruption<br /> Maintenant Zelensky réclame des Tomahawk. Est-ce pour éviter les urnes ? Il n’y a aura pas d’élections en Ukraine tant que la guerre ne s’arrêtera pas…<br /> Aujourd’hui, Zelensky, celui qui promettait la paix en 2019, ne craint ni intensification ni escalade du conflit…les « lignes rouges » russes ne l’émeuvent même pas.<br /> Avec la guerre, la corruption en Ukraine ne s’est pas arrêtée non plus. Elle s’est plutôt amplifiée. Des milliards disparaissent là-bas...<br /> On nous annonce un 19ème paquet de sanctions.18 paquets de sanctions n’ont pas mis fin à la guerre et l’Europe souffre de ses propres sanctions.<br /> Et maintenant, on voudrait confisquer les avoirs russes pour acheter des armes américaines que l’on donnerait ensuite à l’Ukraine et, en même temps, les négociations de paix sont torpillées…la folie n’a plus de limites…<br /> La confiscation des avoirs russes serait effectivement une entreprise parfaitement illégale.<br /> L’Europe y perdrait sa crédibilité, son honneur, sa dignité. La parole européenne ne vaudrait plus rien et certains pourraient être incités à retirer leurs billes de l’Europe car ceux à la manœuvre seraient perçus comme une bande de petits voyous.<br /> Que deviennent nos valeurs européennes tant défendues ?<br /> Une fois l’argent russe dépensé, on fait quoi ?<br /> La guerre continue ? Ou elle s’arrête ? Avec quels moyens ?<br /> Ursula von der Leyen et ses acolytes « volontaires » (Macron en tête) nous projettent déjà « un choc avec la Russie » à l’horizon 2030.<br /> Un incident peut être vite crée, un prétexte peut être vite trouvé, et une situation peut rapidement s’embraser et prendre sa propre dynamique.<br /> Gavrilo Princip a tué l’archiduc François-Ferdinand. A l’époque, personne ne s’imaginait que cet assassinat de Sarajevo allait provoquer une guerre mondiale avec toutes les conséquences cataclysmiques qu’elle a ensuite engendrées.<br /> Veut-on donc en toute irresponsabilité et en toute immoralité, créer des conditions pour pouvoir déclencher une Troisième Guerre Mondiale ?<br /> L’Europe n’a ni les armes ni l’argent pour cela. <br /> Friedrich Merz veut débloquer des sous pour massivement armer l’Allemagne.<br /> L’échec français est inquiétant, mais l’armement de l’Allemagne n’est pas forcément une bonne nouvelle non plus dans ce contexte.<br /> Si la Campagne de Russie napoléonienne fait sourire Vladimir Poutine, l’Opération Barbarossa ne le fait pas rire.<br /> Il faut à tout prix éviter un antagonisme germano-russe au cœur de l’Europe.<br /> L’Allemagne peut rester le moteur de l’Europe, mais la puissance de ce moteur devrait reposer sur sa force industrielle. Pas sur sa puissance militaire. Un armement excessif (offensif) de l’Allemagne pourrait un jour se révéler néfaste….les Russes ne doivent pas se trouver dans une situation où certaines intentions allemandes, françaises et/ou européennes puissent être mal interprétées.<br /> La neutralité et la non-intégration de l’Ukraine dans l’OTAN sont des éléments également nécessaires au rétablissement de la paix en Europe et pour éviter un autre casus belli. En revanche, Vladimir Poutine a signalé cet été, qu’un armement de l’OTAN ne serait pas perçu comme une menace.<br /> <br /> Soyons lucides. Il fait arrêter cette guerre en Ukraine au plus vite. C’est primordial.<br /> Les apprentis-sorciers de cette crise devraient œuvrer pour la paix au lieu de vouloir prolonger ce conflit au risque qu’il s’intensifie et s’élargisse davantage. Toute nouvelle escalade doit être évitée.<br /> Aucune personne sensée ne souhaite aller vers un affrontement planétaire, potentiellement nucléaire, ni aujourd’hui, ni demain.<br /> Nos dirigeants va-t-en-guerre seraient-ils prêt à envoyer leurs enfants et petits-enfants au front ?<br /> <br /> Marion Winter, le 25/10/2025<br /> <br /> P.S. : « Vas-y toi-même si tu y tiens. Tu prends ton casque, le gilet pare-balles, le fusil, et tu pars. » Voilà ce que Matteo Salvini a suggéré il y a quelque temps à Emmanuel Macron face à son attitude guerrière…
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P
Merci encore, ce commentaire est une contribution précieuse.