25 Mai 2024
La tuerie du péage d’Incarville a brutalement montré aux Français la réalité de leur pays : la France est en train de basculer dans le sinistre statut de narco-état. À savoir : l’empire de la violence totale, y compris l’exécution délibérée de représentants de l’ordre républicain, la corruption rampante des dockers aux élus et jusqu’aux policiers et magistrats ripoux, un pays où les zones de deals sont autant de zones hors contrôle, avec une économie parallèle qui avoisine 5 milliards d’euros et « salarie » 300 000 emplois, du guetteur au revendeur, du livreur au tueur. Un pays d’omerta, de peur, d’insécurité permanente où l’on peut mourir d’un instant à l’autre, dans la rue ou même chez soi, d’une rafale de fusil mitrailleur.
Un pays aussi, devenu le premier marché d’Europe pour le cannabis, consommé par 44,8 % des 15-64 ans, où plus de deux millions de Français touchent à la cocaïne.
Mais notre République du déni pratique, dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, la politique de l’évitement. Toujours pas d’agence dédiée à la lutte contre la drogue, pas de parquet spécialisé, pas de politique pénale sérieuse, ni contre les mineurs happés par le trafic, ni contre le « haut du spectre » qui continue de gérer paisiblement son business depuis la prison ou depuis Marrakech et Dubaï. Et quand des procureurs marseillais dénoncent les morts (47 l’an dernier dans cette seule ville) et le « narco-terrorisme », ce sont eux qui se voient dénoncés par le Garde des Sceaux en personne…
Quant au très lointain successeur de Talleyrand au Quai d’Orsay, le quasi invisible Sejourné, lui non plus ne s’intéresse guère au sujet : la drogue est l’angle mort de notre politique étrangère. Pourtant, s’il avait pris la peine de parcourir le dernier rapport de l’ONUDC, l’Office des Nations Unies chargé de la lutte contre la drogue et le crime, dont la France est pourtant partie, notre ministre aurait pu apprendre que le trafic de drogue touche 240 millions d’individus et qu’il explose tout autour de nous : au Sahel, Mali, Niger, Burkina, notamment où il se mêle intimement à Daech et Al-Qaïda ; en Ukraine où la guerre a vu exploser la production et l’exportation de méthamphétamines, ou en Afrique du Nord, devenue le principal « hub » de la production et du trafic de cannabis vers l’Europe.
À elle seule, la région du Rif au Maroc (Tanger - Tétouan - Al Hoceïma) fait vivre 140 000 personnes qui exploitent 134 000 hectares, soit 3 080 tonnes de cannabis, générant 12 milliards d’euros pour les trafiquants et 214 millions pour les « agriculteurs ». Une vraie réussite commerciale dans un pays où la culture du hashish est pourtant interdite depuis l’indépendance en 1956…
Plus loin de nous, mais fournisseurs attitrés de la cocaïne consommée chez nous, la Bolivie et le Pérou autorisent la culture de la coca pour lutter « contre le mal des montagnes », tout comme la Colombie, tandis que le Mexique, l’Équateur ou le Honduras ont littéralement sombré dans la guerre intérieure contre des groupes aussi puissants et parfois plus riches que les États… En Amérique Latine, la drogue se marie avec les groupes terroristes d’ultra gauche (FARC ou Sentier Lumineux), et déborde de plus en plus sur le bassin amazonien, où l’on retrouve… la France en Guyane, et les mules arrivant quotidiennement à Roissy en provenance de Cayenne, les intestins bourrés de boulettes de coke sous plastique…
Curieusement, notre diplomatie ne dit mot sur tous ces paradis artificiels, qui pourtant valent bien leurs complices, les paradis fiscaux… Sans doute pour ne fâcher personne, y compris par exemple à Pékin, premier producteur mondial du précurseur du Fentanyl, une drogue de synthèse qui arrive en Europe et qui tue 100 000 Américains chaque année.
Il est peut-être grand temps que la France s’intéresse là aussi à ceux qui approvisionnent « La Mouche » et les assassins de nos malheureux personnels pénitentiaires.
Pierre Lellouche
Tribune VA - 18/05/2024