5 Avril 2024
En fixant comme but de guerre « la défaite » de la Russie et en envisageant pour ce faire « l’envoi de troupes » alliées sur le champ de bataille ukrainien, Emmanuel Macron a réussi, lors du sommet impromptu de l’Élysée du 27 février, un véritable tour de force diplomatique. Celui de réunir contre lui tous les dirigeants occidentaux, à commencer par Biden et Sholtz - personne ne voulant d’une guerre ouverte OTAN-Russie, synonyme, comme le répète le Président américain depuis deux ans, de « Troisième Guerre Mondiale »; mais également Vladimir Poutine lui-même qui, deux jours plus tard, n’a pas raté l’occasion d’enfoncer le clou, en menaçant l’Occident d’une guerre nucléaire « qui détruirait la civilisation ». Chapeau l’artiste !
Avec en prime, la démonstration publique du divorce franco-allemand sur la guerre en Ukraine et ses suites, s’agissant de l’architecture du futur système de sécurité européen, après cette guerre. En effet, pendant que le Président français s’adonne à l’art de la « disruption » verbale qu’il affectionne tant, rien, absolument rien n’avance sur le plan du « réarmement européen » que l’on nous dit pourtant urgent et indispensable. Là réside sans doute la faute la plus grave du « leadership » français que Macron prétendait incarner.
Car après deux ans de guerre en Ukraine, et alors que l’on s’attend à minima à un retrait important, sinon total, des moyens américains en cas de réélection de Trump (coût pour l’Europe : 320 milliards d’euros !), les deux tiers des 32 membres de l’OTAN (y compris la dernière arrivée, la Suède) continuent de consacrer moins de deux points de leur PIB à leur défense : la France, nous promet M. Lecornu, devrait atteindre ce niveau en 2024… On est loin, très loin du « réarmement » annoncé à toutes les sauces par l’Élysée. Rappelons que la France consacrait 4% de son PIB à sa défense dans les années 70, 6% dans les années 60, 8% dans les années 50, sans parler des 20% lors de la Première guerre mondiale.
Quant au niveau européen auquel on aime tant se référer du côté de l’Exécutif avec la fameuse (et fumeuse) notion de « souveraineté européenne », le tableau n’est guère plus engageant, s’agissant en particulier du secteur clé des industries militaires. La vérité crue est qu’il n’existe aujourd’hui plus aucun programme de coopération en matière d’armements d’importance entre la France et l’Allemagne ; le divorce est consommé sur la défense antiaérienne, la coopération industrielle est plus que laborieuse au sein de KNDS, censé regrouper Nexter et l’allemand Kraus Maffei Wegmann pour les matériels terrestres, comme au sein de Naviris qui regroupe Naval Group et l’italien Fincantieri…
Alors que les Européens s’étaient engagés à attribuer au moins un tiers de leurs commandes militaires à des industriels européens, cette part atteint à peine 18%. Et encore : la plupart des Ministères de la Défense ne communiquent même plus leurs données à l’Agence Européenne de Défense, pourtant chargée d’impulser cette coopération industrielle à l’échelle de l’UE. Il faut dire qu’avec ses 200 agents, l’AED fait pâle figure auprès de la DGA (délégation générale à l’armement française et ses 10 000 agents). Résultat : l’Europe est incapable de produire un million d’obus en un an, et doit se résoudre à trouver d’autres fournisseurs ailleurs, avec l’argent du contribuable européen.
L’exemple le plus parlant est celui de la Pologne, le seul État membre de l’UE qui réarme vraiment grâce à la montagne d’euros offerte par Bruxelles : 137 milliards d’euros (!), avec lesquels Varsovie s’équipe en matériels américains et sud-coréens… Alors, « envoyer des troupes », certes, Monsieur le Président, mais lesquelles ? Et quand allez-vous décider une vraie politique de réarmement pour la France ?
Pierre Lellouche
Tribune VA, 3/3/24