6 Avril 2024
Pour marquer le 30e "anniversaire" du génocide rwandais et ses 800 000 morts, Emmanuel Macron ne s’est pas rendu à Kigali, comme il l’avait fait en 2021. Il a préféré s’exprimer par une vidéo en forme de repentance : « La communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir », affirme-t-il. Et « la France aurait pu arrêter le génocide avec ses alliés occidentaux et africains ». Mais « elle n’en a pas eu la volonté ».
L’aveu, émanant du président de la République française, est grave. S’il exclut une complicité active de la part de la France, il admet une forme de complicité passive collective : la France, l’ONU présente sur place avec la MINUAR, les États-Unis présents eux aussi, ont laissé le gouvernement Hutu alors en place, massacrer trois mois durant la population Tutsi sans défense.
S’agissant de la France, la mise en cause vise directement François Mitterrand, qui n’est plus là pour s’expliquer, et son entourage direct, mais également le gouvernement de cohabitation alors dirigé par Édouard Balladur, Alain Juppé étant ministre des Affaires étrangères. Juppé qui avait activement contribué à la conclusion des accords de paix d’Arusha signés en août 1993, puis le 22 juin suivant au lancement de l’opération humanitaire « Turquoise » sous mandat de l’ONU (résolution 929).
Depuis trente ans, la justice française, les militaires, les journalistes présents à l’époque, les historiens se déchirent sur les responsabilités de ce crime atroce. Nul ne sait qui a abattu le 6 avril 1994 le Falcon où ont péri le Président du Rwanda, Juvénal Habyarimana, l’ami de Mitterrand, et son collègue burundais Cyprien Ntaryamira, ni qui avait préparé, sans doute de longue date, le génocide qui commença dès le lendemain.
Au Rwanda, victimes et génocidaires vivent désormais côte à côte dans un pays dirigé efficacement mais d’une main de fer par Paul Kagamé, le dirigeant de la guérilla Tutsie de l’époque, le FPR. Un Paul Kagamé qui est accusé par son voisin congolais, Félix Tshisekedi, de piller ses richesses minières en armant un autre mouvement de guérilla, le M23, auteur, dit-il, de centaines de milliers de morts au nord Kivu…
Dans un tel contexte, quel est donc le sens de la repentance prononcée par Macron ? S’agit-il de conforter les liens avec Kagamé, dont la France aurait semble-t-il besoin pour stabiliser la Centrafrique et lutter contre la poussée djihadiste au Mozambique ?
Ou bien s’agit-il d’esquisser une autre politique française en Afrique, après les désastres stratégiques subis dans le Sahel où la France a été littéralement expulsée du Mali, du Niger et du Burkina Faso ? Dans son discours du 27 février 2023, précédant une énième tournée africaine (Macron aura visité 25 pays africains entre 2017 et 2023 !), le président avait annoncé « clôturer un cycle de notre histoire en Afrique », en souhaitant désormais aborder le continent avec « une profonde humilité ».
Il est vrai qu’elle en a besoin. La France paye très cher aujourd’hui l’erreur de François Hollande avec l’opération Barkhane, trop longtemps maintenue par Macron lui-même (10 années et 10 milliards d’euros) ; très cher aussi ses 52 interventions militaires en Afrique en 50 ans (entre 1964 et 2014), cher enfin son Franc CFA : le terreau sur lequel prospèrent de nouveaux prédateurs russes, chinois ou turcs, là où la France fait l’objet d’un rejet, voire d’un complotisme généralisé.
Face à l’explosion démographique de l’Afrique : 2,5 milliards d’hommes en 2050 et plus du tiers de l’humanité à la fin du siècle, une Europe vieillissante de 450 millions d’habitants ne peut pas tourner le dos au continent africain. La France devra revoir de fond en comble sa politique. Reste à savoir si la repentance rwandaise en fournira le pilier…
Pierre Lellouche
Tribune VA, 6/4/24