27 Novembre 2024
La semaine dernière, au Pakistan, une nouvelle flambée de violence entre musulmans chiites et sunnites dans le nord-ouest du pays a fait 82 morts et 156 blessés, portant à 160 le nombre de victimes depuis l’été dans cette région limitrophe de l’Afghanistan.
À Paris, au même moment, le groupe LFI à l’Assemblée nationale proposait de supprimer le délit d’apologie du terrorisme, tandis que le Conseil d’État autorisait Rima Hassan, égérie palestinienne devenue, grâce à LFI, eurodéputée française, à « conférencer » sur la Palestine à Sciences Po. Jadis mon école, ce lieu de débats s’est transformé en foyer d’intolérance antisémite.
La même semaine, un intellectuel respecté pour son combat contre l’intégrisme islamiste, Boualem Sansal, était arrêté à sa descente d’avion à Alger. Bien que Français, il ne bénéficiait que du silence embarrassé du gouvernement Macron-Barnier. Ce même gouvernement annonçait pourtant, à peu près au même moment, qu’il ferait exécuter sans hésitation sur le sol de la République le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou et de son ex-ministre de la Défense, Yoav Gallant, tous deux inculpés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis contre les Palestiniens.
Villepin approuve bruyamment, lui qui dit ne « supporter les massacres à Gaza ». Curieuse indignation sélective ! Que je sache, 200 000 Algériens ont été massacrés par d’autres Algériens sans qu’aucun procureur de la CPI n’ait jugé bon d’ouvrir une enquête sur les responsables à Alger. 500 000 Syriens ont été exterminés par Bachar el-Assad, y compris à l’arme chimique, mais là aussi, silence de la CPI. Encore mieux, au Soudan, où deux généraux sanguinaires se disputent depuis des mois l’héritage d’Omar el-Béchir, le boucher du Darfour : 300 000 morts, sans que cela n’émeuve la justice internationale.
On me rétorquera qu’El-Béchir a bien été inculpé en mars 2009 par la Cour de La Haye. Sauf que l’Union africaine, jugeant que la CPI poursuivait trop de chefs d’État africains et servait en fait les intérêts des ex-coloniaux, rejeta la décision de La Haye. El-Béchir put ainsi voyager tranquillement sur le continent.
L’idée de poursuivre les États et leurs dirigeants pour des crimes de masse contre les civils fut initiée en France en 1872 après la guerre franco-prussienne. Évoquée lors du traité de Versailles, elle ne fut appliquée qu’en 1945 à Nuremberg. Depuis la fin de la guerre froide, des tribunaux spéciaux ont émergé pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, avant une application mondiale en 1998 avec le Statut de Rome.
Cependant, ce droit international « universel » s’est vite heurté aux tensions russo-sino-américaines. En 2014, Russes et Chinois empêchèrent toute poursuite contre Bachar en Syrie. En 2016, la Russie bloqua la plainte de la Géorgie après la guerre en Ossétie du Sud. Les États-Unis, eux, interdirent toute ingérence de la CPI en Afghanistan. Pompeo qualifia la CPI d’« institution politique irresponsable », et Trump prit en 2020 des sanctions contre ses membres. Biden, néanmoins, applaudit l’arrestation de Poutine en mars 2023 pour enlèvements d’enfants ukrainiens.
Dans ce contexte, la criminalisation d’Israël, déjà amorcée après le 7 octobre par l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice, se tourne maintenant vers ses dirigeants. Israël, né du génocide des Juifs, est poursuivi pour génocide, ses dirigeants inculpés. Par extension, tous les Juifs deviennent complices. LFI peut ainsi afficher son antisémitisme au nom de l’antiracisme et de la cause palestinienne, tandis que les dirigeants arabes dorment tranquilles.
Comme l’écrit Kamel Daoud : « L’invisibilité du conflit soudanais s’explique par l’absence de judéité criminalisée. Les musulmans y tuent d’autres musulmans, ce qui équivaut à zéro. »
Pierre Lellouche
Tribune VA, 27/11/24