13 Décembre 2024
En déclenchant son pogrome du 7 octobre 2023, Yahia Sinouar, le chef du Hamas, avait trois objectifs principaux : infliger une défaite militaire à Israël pour démontrer aux yeux du monde la vulnérabilité de l’État juif, entraîner le Hezbollah dans l’escalade d’une guerre régionale dans tout le Proche-Orient, et, sur le plan diplomatique, bloquer les Accords d’Abraham et le processus de normalisation entre Israël et les monarchies du Golfe.
L’incendiaire aura réussi au-delà de ses espérances. Tels des dominos tombés en cascade, Sinouar a en effet réussi à entraîner successivement dans sa guerre de Gaza le Hezbollah et le Liban, les Houthis du Yémen, jusqu’au centre névralgique de « l’axe de la Résistance », Téhéran lui-même. Mieux, avec l’ampleur de la destruction de Gaza par l’aviation israélienne, Sinouar est parvenu à remettre la cause palestinienne au cœur du débat, tout en isolant dangereusement Israël sur la scène internationale.
Ce que Sinouar n’avait pas prévu cependant, c’est l’efficacité de la riposte israélienne, non seulement sur lui-même – il en est mort – mais également sur ses alliés, eux aussi éliminés ou gravement affaiblis, tant à Beyrouth qu’à Téhéran. Au point qu’un nouveau domino, lui aussi allié des Palestiniens et de l’Iran, vient de basculer en à peine dix jours : la Syrie de Bachar El-Assad.
Jusqu’à présent, la Syrie était divisée, à l’issue de plus de 12 ans de guerre civile, en trois zones majeures :
Or, ce qui vient de se passer ces derniers jours n’est rien moins que la déchirure brutale de cet équilibre territorial, avec l’attaque surprise extrêmement rapide des forces anti-Assad vers le sud du pays, avec la prise, en trois jours, d’Alep, la deuxième plus grande ville de Syrie, suivie par la ruée vers Hama, puis Homs, et finalement Damas.
L’attaque a profité à plein de l’affaiblissement des troupes du Hezbollah rappelées au Liban pour combattre Israël, et du repli d’une bonne part des moyens aériens russes envoyés sur le front ukrainien. Quant aux Turcs, ils ont à coup sûr encouragé l’opération, face au refus d’El-Assad de laisser Ankara organiser une zone tampon le long de la frontière turque, où Ankara veut se débarrasser des 4 millions de réfugiés syriens présents sur son territoire.
Privé de ses soutiens extérieurs, le régime Assad, chancelant, n’a pas survécu à la vingtaine de milices djihadistes de toutes sortes, dont Daech, les brigades Fatemiyoun et Zainabiyoun, l’Armée Syrienne Libre, et le grand vainqueur, le HTC de Joulani.
Avec l’effondrement de la Syrie après celui du Liban, c’est le partage territorial de 1916 entre Français et Britanniques, les fameux accords Sykes-Picot, qui n’en finit pas de mourir sous les yeux des puissances régionales qui, elles, préparent le partage suivant : Turcs contre Iraniens, Israéliens bien sûr, soucieux de bloquer l’arrivée d’armes de Téhéran, sans parler des monarchies du Golfe qui ne veulent pas d’une Syrie livrée aux djihadistes sunnites ou aux chiites pro-Iraniens.
En 2011, au début des « printemps arabes », tout le monde voulait se débarrasser d’Assad, dans l’espoir de construire une Syrie démocratique. Aujourd’hui, ce sont des milices djihadistes, plus ou moins issues d’Al-Qaïda et de Daech, qui ont pris Damas par les armes. Au grand dam de l’Iran, forcé d’évacuer ses conseillers militaires du pays, et de la Russie, qui va tenter de préserver ses bases de Tartous et de Hmeimim. Un nouveau partage de la Syrie sortira probablement du chaos actuel. Mais cette fois, sans les Européens, définitivement absents, qui espèrent seulement échapper aux risques terroristes qui pourraient surgir de ce nouveau chaos syrien.
Pierre Lellouche
Tribune VA, 8 décembre 2024