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Gaza : L'Iran a-t-il déjà gagné ?

 

Six mois après le début de la guerre de Gaza, le bilan est proprement désastreux pour Israël avec 1 600 morts, et quasi triomphal pour son ennemi juré, l'Iran, avec 33 000 morts à Gaza. Malgré les 100 000 hommes engagés au début du conflit et des milliers de tonnes de bombes déversées sur l'enclave, Israël n'est toujours pas venu à bout du Hamas, et de son chef Yahya Sinwar. Si ces dernières semaines, l’armée israélienne a changé de tactique, procédant par des attaques ciblées au moyen de forces spéciales, la traque risque de durer des mois encore, de l’aveu même des experts militaires israéliens.

Un délai politiquement dévastateur, voire fatal pour Israël. Car le monde entier a déjà oublié les atrocités subies par le peuple israélien le 7 octobre. Les images des bébés palestiniens ensevelis sous les bombes, diffusées à flux continu par Al Jazeera et reprises par CNN et la BBC, les ont depuis longtemps remplacées. Aujourd’hui, Israël, le pays né du génocide des Juifs il y a 80 ans, est lui-même traîné en justice devant la Cour Internationale de Justice pour crime de « génocide », par l’Afrique du Sud, porte-parole autoproclamée du Sud global.

La haine d’Israël et donc la haine des Juifs, a littéralement mondialisé l'antisémitisme, tout en le légitimant. On peut désormais haïr les Juifs et avoir la conscience tranquille au nom des droits du peuple Palestinien identifié au Hamas. Israël État paria : aux États-Unis mêmes, un sondage du 25 mars révèle qu’une majorité d’Américains, 55 %, condamnent les actions israéliennes à Gaza. Joe Biden, qui joue sa réélection, craint de voir la gauche du parti démocrate, comme dans le Michigan, lui faire défaut. La crise est donc ouverte entre Biden et Netanyahu : pour la première fois, l’Amérique a laissé le Conseil de Sécurité exiger un cessez-le-feu immédiat, en s’abstenant sur une résolution présentée par la Chine.

Mais la défaite stratégique est plus grave encore, car le vrai gagnant de cette guerre s’appelle l’Iran. L’Iran qui a armé le Hamas pourtant sunnite ; qui, depuis des années, contrôle le Liban grâce au Hezbollah ; l’Iran qui mène une guerre par procuration aux Américains encore déployés en Syrie et en Irak, par le biais de ses milices chiites. L’Iran qui, par ses livraisons de missiles à longue portée, permet aux miliciens Houthis du Yémen d’interdire toute navigation dans le Golfe persique aux navires occidentaux. L’Iran enfin qui a torpillé à Gaza tout processus de rapprochement entre Israël et ses voisins arabes, l’Arabie Saoudite surtout.

Mais ce tableau est encore incomplet car il y manque l’essentiel : les experts de l’Institut pour la Science et la Sécurité Internationale (ISIS) estiment que le temps nécessaire pour la fabrication par Téhéran d’au moins six armes nucléaires est tombé à… zéro. De son côté, l’Agence Internationale de l’Énergie Atomique (AIEA), confirme le 4 mars, que ses inspecteurs ont été expulsés d’Iran et qu’elle « a perdu tout moyen de recueillir l’information sur la production et le nombre des centrifugeuses ».

Même si Trump s’était retiré de l’accord de 2015, dit JCPOA, sur le nucléaire iranien, les dispositions dites « snap back » prévoient l’imposition de sanctions massives en cas de violation par l’Iran. Or, Biden se tait… comme les Européens (France incluse) qui eux, sont restés parties à l’accord. Mieux, Washington a libéré 6 milliards de dollars bloqués en échange de 5 otages retenus en Iran, et les sanctions sur les exportations de pétrole vers la Chine ne sont pas appliquées. Cerises sur le gâteau, l’Iran a livré plus de 2000 de ses drones Shaheed à la Russie pour bombarder l’Ukraine… Et coorganise, ces jours-ci, en grande puissance régionale, des manœuvres navales dans le Golfe d’Oman avec les Marines russe et chinoise.

De facto, 20 ans après sa désastreuse campagne d’Irak, l'Amérique a abandonné le Proche-Orient à l’Iran.

16 avril 2024

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