3 Février 2024
Ils avaient pourtant voulu y croire, jusqu’au bout. Zelensky et ses principaux soutiens parmi les dirigeants européens à Londres, Paris, Berlin et Varsovie espéraient qu’un accord serait finalement trouvé entre Démocrates et Républicains pour reprendre l’aide militaire américaine à l’Ukraine, brutalement interrompue en décembre. Hélas, de l’aveu même des responsables les plus engagés en faveur de l’Ukraine à Washington, cette fois, « c’est fini ». Selon Ivo Daalder, ancien ambassadeur à l’OTAN, il n’y aura pas un dollar de plus en 2024, année électorale, et sans doute rien non plus les années suivantes si Trump est réélu.
En octobre dernier, un accord semblait encore possible. Au début de la guerre à Gaza, le chef de la minorité républicaine au Sénat, le très âgé (et très diminué) Mitch McConnell suggéra à Biden de présenter au Congrès une loi de finances à 110 milliards de dollars qui aurait, pensait-il, satisfait tout le monde : 60 milliards d’aide militaire pour Kiev, 10 ou 15 pour Israël, autant pour Taïwan, une aide humanitaire pour les Palestiniens, et tout le reste pour renforcer la lutte contre l’immigration clandestine à la frontière mexicaine, cheval de bataille des Républicains.
Hélas, l’astuce se retourna vite contre ses auteurs, personne n’y trouvant son compte. Pire : en liant l’aide, elle n’a pas convaincu la majorité républicaine de la Chambre des Représentants, désormais soudée derrière Trump. Elle ne voterait rien qui n’ait recueilli préalablement l’aval de son candidat favori. Le nouveau « Speaker », Mike Johnson, l’a dit crûment : « Ma réponse est NON, absolument NON. Je mourrai là-dessus ».
Autrement dit, même si les sénateurs des deux bords, plus sensibles aux conséquences de politique extérieure, devaient trouver un accord entre eux, celui-ci serait bloqué par les Représentants Républicains galvanisés par la double victoire de leur héros aux primaires de l’Iowa et du New Hampshire ces derniers jours.
Cette situation n’étonnera pas les bons connaisseurs de l’Amérique, capable de tous les revirements du jour au lendemain en fonction de ses priorités ou de ses jeux politiques intérieurs. Tant pis pour les alliés d’hier… Après tout, Biden n’est-il pas sorti, sans gloire, d’Afghanistan, en quelques jours à peine en août 2021 ? Et Obama n’avait-il pas changé d’avis sur les bombardements en Syrie en 2013 ?
Pour l’Ukraine et ses soutiens européens, l’affaire est proprement catastrophique. Non seulement parce que Washington avait déjà apporté 113 milliards de dollars, dont la moitié en aide militaire à l’Ukraine, mais surtout parce que cette aide portait sur les systèmes les plus cruciaux : 85 % de l’artillerie, le gros de la défense anti-aérienne, sans parler du renseignement…
D’ores et déjà, les conséquences se font sentir sur le terrain. Les Ukrainiens, qui se battent vaillamment, ne peuvent plus tirer que 2000 obus par jour sur un front de 1000 km ; ils en tiraient 6000 l’an dernier… Pire, la Russie, passée en économie de guerre et soutenue par la Corée du Nord, fait pleuvoir 10000 obus chaque jour, et des dizaines de missiles sur les villes ukrainiennes de moins en moins bien défendues faute de missiles anti-aériens (le taux d’interceptions serait passé de 85 à 50 %)…
Les dirigeants européens savent qu’ils sont désormais au pied du mur, et sans doute à un tournant de l’histoire de l’Europe. Tous, sauf le Hongrois Orban, répètent avec Macron qu’ils entendent bien « rendre une victoire russe impossible ». Mais avec quoi ? Après trente années de désarmement budgétaire unilatéral, les arsenaux sont vides et les industries d’armement mettront des années à redémarrer. Les 6000 obus dont l’Ukraine aurait besoin chaque jour correspondent à deux mois de production en France… Certes, 50 milliards d’euros supplémentaires pour l’essentiel civil, seront accordés le mois prochain à Bruxelles, en plus des 83 milliards déjà déboursés par l’UE. Reste à remplacer l’arsenal américain et à trouver les armes… L’année qui commence sera celle de tous les dangers pour l’Ukraine comme pour l’Europe.
Tribune VA
Pierre Lellouche
3/2/24