Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Déjà vu.

 

C’était le 30 novembre 1993, il y a 31 ans…

Au mois de mars précédent, j’avais été élu pour la première fois député, et en tant que Président du groupe France-Allemagne à l’Assemblée, j’eus l’honneur d’accompagner le Président François Mitterrand pour des consultations à Bonn avec le chancelier Kohl.

Souhaitant mieux connaître « la cuvée 93 bleu horizon », selon ses termes, il me convia à dîner avec lui dans son avion lors du voyage du retour. Le président, visiblement fatigué mais conservant toute sa vivacité intellectuelle, m’interrogea sur ma circonscription jusque-là le fief de Dominique Strauss-Kahn, qui regroupe les cités sensibles de Sarcelles, Garges-les-Gonesse et Villiers-le-Bel. J’insistai auprès de lui sur les énormes problèmes posés par l’intégration ratée de toute une jeunesse venue d’une soixantaine de pays, particulièrement d’Afrique, du Nord et du Sahel, sur l’insécurité quotidienne, la précarité… Ce à quoi il me répondit benoîtement : « Mais de quoi vous inquiétez-vous ? Moi, j’avais nommé Bernard Tapie comme Ministre de la ville. Il réussissait très bien. » (Tapie n’occupa ce poste que 4 mois.) « Un bon ballon et les jeunes étaient contents… »

Je fus sidéré par autant de cynisme. Quelques mois plus tard, en avril 1994, éclataient les premières grandes émeutes dites « des banlieues » dans ces trois villes du Val-d’Oise. Elles virent la destruction de dizaines de magasins (surtout juifs), de centaines de voitures et de nombreux établissements publics, sans parler des violences contre les synagogues de Sarcelles et Garges…

Mardi dernier, le Président Emmanuel Macron, à l’occasion de sa grande conférence de presse, fut interrogé sur « sa lecture » des violences sans précédent qui, sept mois auparavant, avaient littéralement mis le feu dans 500 villes (!) de notre pays. Au prétexte de « venger » la mort du jeune Nahël, tué lors d’une interpellation par la police, la France connut une violence nihiliste hors contrôle, une véritable razzia partie des « quartiers » pour ravager, détruire, piller les centres-villes, occasionnant au final un milliard d’euros de dommages.

Comme de très nombreux concitoyens, j’attendais l’analyse de cet homme brillant, féru de culture, et reconnu par tous pour son intelligence hors norme. À coup sûr, il aurait longuement réfléchi sur cette explosion, et il nous en donnerait son diagnostic en même temps que son remède.

Le diagnostic : « Oui, quelque chose s’est passé ». Mais rien à voir avec l’immigration, « un non-sujet ». Au demeurant, la loi qui vient d’être votée va régler le problème. Mais surtout : « tous ces jeunes sont Français », a-t-il asséné. Leur problème : un défaut d’intégration, mais « des deux côtés ». Privés « de vacances à la mer ou à la montagne… ils s’ennuyaient », voilà tout. La solution : plus de « théâtre », et même d’histoire de l’art, justement confiés à une nouvelle ministre, idéale pour cela.

C’est à ce moment que mon dîner avec son prédécesseur, 30 ans plus tôt, me revint à l’esprit.

Cynisme ou ignorance crasse de ce que vivent les Français dans et hors des « quartiers » ? Ou plus simplement l’indifférence d’un bateleur hors sol, qui apprécie bien davantage ses échanges à Davos avec les puissants de ce monde, et son rôle de chef autoproclamé d’une Europe « réarmée » face aux guerres d’Ukraine et de Gaza ?

Pourtant, le Président doit lire les notes qu’on lui transmet : le rapport récent de la Cour des Comptes, par exemple, qui démontre en détail pourquoi la France est incapable de contrôler ses frontières et reçoit près de 500 000 nouveaux arrivants par an, dont au moins 150 000 vrais faux demandeurs d’asile, avec pour résultat de saturer tous les services chargés d’accueillir et plus encore d’intégrer. De même, le Président n’a pas pu ne pas lire la dernière étude de l’INSEE, qui décrit l’effondrement de la natalité chez nous, et la forte proportion des enfants (un tiers !) nés en France mais de parents immigrés, hors UE, dont la fécondité est bien supérieure aux natifs. Mais cela, le Président ne veut pas le voir. La France est en train de changer de peuple, mais « en même temps », Macron nous promet « que la France doit rester la France »…

 

Pierre Lellouche

Tribune VA,

27 janvier 2024

 

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