13 Janvier 2024
Victime collatérale de sa géographie et de l’accord de paix conclu entre son voisin colombien et les FARC, l’Équateur, petit pays jadis paisible de 18 millions d’habitants, a basculé en quelques années dans le statut funeste de « Narco État », devenant l’un des principaux lieux de transit et d’exportation du trafic mondial de cocaïne.
Mardi 9 janvier, en plein jour, une bande de narcotrafiquants lourdement armés a pris le contrôle de la télévision publique de Guayaquil, prenant en otage journalistes et techniciens, le tout filmé en direct. Quelques jours plus tôt, le chef du principal gang local, Los Choneros, Adolfo Macias, s’était évadé pour la deuxième fois de prison, où il purgeait une peine de 34 ans, suivi, peu après, par son « collègue » Fabricio Colon Pico, chef du gang Los Lobos, lui aussi en cavale. Précisons que les 5 prisons du pays détiennent 139 agents pénitentiaires pris en otage, dont plusieurs d’entre eux ont été exécutés par armes à feu ou par pendaison.
Au mois d’août dernier, un ancien journaliste, candidat à l’élection présidentielle, Fernando Villavicencio, avait été assassiné par les tueurs du même Macias. En Équateur, le nombre de jeunes de 15 à 19 ans tués par balles a augmenté de 500 % en quatre ans, tandis que les assassinats de rue explosaient de 800 %. On y compte désormais 46 morts par balles pour 100 000 habitants. Pas moins de 20 000 tueurs sèment la terreur dans tout le pays, en guerre ouverte contre l’armée. L’état d’urgence a été déclaré, y compris dans la capitale, Quito : commerces, hôtels, écoles sont fermés. Le jeune président Daniel Noboa, en lutte contre une corruption généralisée, et contraint de déclarer « l’état de guerre intérieure », attend aujourd’hui l’aide militaire de ses voisins et surtout des États-Unis.
Un autre monde, lointain, ces Narco États d’Amérique Latine, comme le Mexique, la Colombie, le Pérou ou l’Équateur ? Hélas, non. La drogue est devenue un immense business mondialisé qui se chiffre en dizaines de milliards de dollars, qui tue plus de 100 000 Américains chaque année, mais qui s’installe aussi durablement en Europe et en France : d’Anvers à Amsterdam, du Havre à Marseille... En y important une violence extrême, la mort, la corruption, et en n’hésitant pas, même, à menacer de mort les plus hauts dirigeants : jusqu’au Premier ministre et à la famille royale des Pays-Bas…
En France, la situation s’aggrave d’année en année. À l’image des saisies de cocaïne qui ont littéralement explosé en 20 ans, passant de 1,8 tonne en 2000 à 26,5 tonnes en 2021 ! Le cannabis, dont la nocivité a été multipliée par cinq, est passé quant à lui de 49 à 112 tonnes par an... Un business estimé à 3 milliards d’euros pour la France, générant au moins 240 000 « emplois » pour les jeunes des « quartiers ». Dans les rues de Marseille, on voit apparaître les stigmates de ce qui se produit à plus grande échelle en Amérique du Sud : des rues, des immeubles et même des écoles balafrées de traces de balles de guerre, des jeunes séquestrés et souvent torturés (3 par semaine !), et 49 morts en 2023 (+ 50 % en un an), soit 1 par semaine. Des morts de la guerre des gangs (DZ Mafia contre Yoda), le plus souvent très jeunes, voire adolescents, tout comme leurs tueurs, souvent mineurs eux aussi, parfois migrants sans papiers ou « main-d’œuvre », importée d’autres villes de France pour être envoyée au casse-pipe dans des points de deal qui rapportent 80 000 € par jour. Des chiffres « historiquement jamais atteints » selon le Procureur Nicolas Bessone… Mais la mort frappe aussi des passants ou des personnes, chez elles, comme cette jeune étudiante, Socayna, assise trop près de sa fenêtre au 3e étage… La corruption, elle aussi, se répand, des dockers du Havre, aux services publics et jusqu’aux édiles comme à Canteleu en Normandie. Les barons, eux, profitent de leur fortune au Maroc ou à Dubaï…
Il est plus que temps de prendre la mesure de ce fléau : oui, la drogue doit être comprise comme une vraie guerre intérieure.
Pierre Lellouche
Tribune VA, 13 janvier 2024