L'UE, l'Ukraine et Gaza : le vertige de la fuite en avant

Au début de l’année 2023, encouragée par les succès remportés par l’armée ukrainienne à Kharkiv et à Kherson l'automne précédent, l'administration Biden, appuyée par l'OTAN, décidait d'armer massivement l'Ukraine. L'objectif était de lui fournir les moyens d'une offensive décisive contre l'armée russe dans le Donbass et en Crimée. J'avais alors, dans une tribune du Monde (20 janvier 2023), mis en garde contre les risques d'une telle escalade sans exploration préalable de solutions diplomatiques. Je pointais notamment le danger d'une riposte nucléaire russe ou d'un renforcement de la Russie en cas d'échec ukrainien.

À l’approche de fin 2023, le scénario le moins favorable se dessine. Malgré la bravoure de ses soldats et des succès en Mer noire, l'offensive ukrainienne n'a pas réussi à percer les défenses russes. Le bilan humain est catastrophique, avec au moins un demi-million de morts et de blessés des deux côtés, et l'Ukraine est épuisée.

L'usure du soutien à l'Ukraine est manifeste, notamment aux États-Unis où les promesses d'aide sont compromises par les tensions internes et la guerre à Gaza. En Europe, le soutien à l'Ukraine s’effrite également, comme en témoignent les tensions entre l'Ukraine et certains de ses voisins proches.

Les sanctions contre la Russie sont contournées, et l'Europe se trouve désarmée face à de nouveaux conflits, comme celui de l'Azerbaïdjan contre l'Arménie. L’UE semble engagée dans une fuite en avant, promettant un soutien inconditionnel à l'Ukraine sans envisager les conséquences de telles décisions.

Le soutien à l’Ukraine doit se poursuivre, mais avec quel objectif ? La défaite de la Russie ? Et quelle est la place des compromis diplomatiques pour arrêter les hostilités ? L'Europe doit réfléchir à son avenir sécuritaire et diplomatique, confrontée à des défis immenses et à des divisions internes potentiellement insurmontables.

Ce déni des réalités risque de conduire l'Europe vers une crise majeure, voire existentielle, menaçant l'union même du continent. Si cette tendance se poursuit, les conséquences pourraient être irréversibles, non seulement pour l'Ukraine mais pour la cohésion et la crédibilité de l'Union européenne elle-même.

Pierre Lellouche, 10/11/23