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Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

La bombe des Mollahs (Partie 2)

IV- Les retraits américains

C’est en partie pour réagir contre l’activisme iranien dans la région et pour trouver une solution plus satisfaisante à l’objectif de désarmement nucléaire iranien, y compris de son potentiel de missiles, que le président Trump, élu un an après la conclusion du JCPOA, soutenu bien sûr par Nétanyahou en Israël, mais également par bon nombre de républicains très influents au Congrès, décida brutalement en mai 2018 de sortir unilatéralement les États-Unis de l’accord de Vienne. Pour Trump, cet accord était « épouvantable…le pire jamais signé par les États Unis » …

Mais cette sortie unilatérale ne l’était qu’en apparence, puisque par le biais de l’application extra territoriale des sanctions américaines votées par le Congrès (à laquelle j’avais consacré dès 2016 un rapport à l’Assemblée nationale française), la dénonciation américaine de l’accord, devenait en fait la loi internationale, puisque de facto et de jure ,les entreprises des pays tiers ,européennes d’abord ,mais également russes ou chinoises ne pouvaient plus commercer avec les iraniens, sauf à risquer à leur tour de très importantes pénalités financières et de se voir interdire l’accès du territoire américain pour l’ensemble de leurs opérations commerciales ultérieures.

Après à peine trois ans d’existence, le JCPOA devenait donc caduc. Et malgré les cris d’orfraie des Européens qui montrèrent une fois encore, en la circonstance, leur incapacité à agir en tant que puissances dignes de ce nom, le retrait unilatéral américain aboutit tout simplement à replacer l’Iran sous embargo international, mais cette fois sans l’accord des autres parties …Trump annonçant même, par la suite, une stratégie de « pression maximale » sur le régime des Mollahs.

Si Trump était loin d’avoir entièrement tort sur les faiblesses de l’accord de 2015, force est de constater que la dénonciation brutale survenue en 2018, ce que j’ai appelé la stratégie de « la batte de baseball », n’a guère obtenu de résultats convaincants sur le joueur d’échecs de l’autre côté des mers.

Non seulement le programme nucléaire iranien a redémarré de plus belle, les Iraniens ayant beau jeu de dénoncer à leur tour un accord dont les États Unis s’étaient retirés et que les Européens ne respectaient pas non plus en se pliant à l’embargo américain, mais ce programme s’est même intensifié, puisque l’Iran enrichit désormais de l’uranium à 60 % ,c’est à dire à des niveaux quasi militaires ,et que de nouvelles installations sous-terraines sont actuellement repérées par satellites, l’Agence de Vienne ayant vu ses inspections suspendues par Téhéran…


Au plan politique, l’échec de l’accord de 2015, et les sanctions « maximales », n’auront abouti, au final, qu’à renforcer le camp le plus dur à Téhéran, malgré les manifestations d’un peuple exsangue en 2017-18, à discréditer les tenants d’une négociation avec l’Occident et à amener l’élection d’un ultra conservateur, Ibrahim Raïssi en juillet 2021, qui commença sa carrière en tant que Procureur à Téhéran, en étant responsable à ce titre, de l’exécution de milliers d’opposants… Ce que les iraniens appellent « le front de l’endurance », l’a donc emporté, ramenant le pouvoir iranien, sinon le pays tout entier, à la « pureté » révolutionnaire de 1979.

Et comme pour souligner l’échec de cette stratégie occidentale, les Iraniens n’ont cessé d’intensifier leurs pressions politico- militaires sur l’ensemble de l’Arc Shiite qu’ils contrôlent, du Liban au Yémen, jusqu’aux eaux du Golfe ,où plusieurs navires, y compris Israéliens, ont fait l’objet d’attaques de drones, notamment au cours de l’été 2021période où les négociations nucléaires sont censés avoir repris depuis l’arrivée de Biden…

V- JCPOA bis?

Au total donc, ni la stratégie de dialogue d’Obama, reprise aujourd’hui à l’identique par Biden, avec les mêmes négociateurs que sous Obama, ni la stratégie de confrontation de Trump, n’ont abouti à faire bouger d’un iota la stratégie iranienne : le programme nucléaire a repris et s’est même amplifié ,rendant d’ailleurs caduc l’essentiel de l’accord de 2015 (qui n’est valable, rappelons-le, que pour 10 ans, jusqu’en 2025,donc),les programmes balistiques se poursuivent ,de même que l’activisme perse dans toute la région. Et ce, malgré l’élimination spectaculaire du Général Qassem Soleimani en janvier 2020 sur l’aéroport de Bagdad, par des drones américains.

Biden est d’ailleurs en train de le découvrir puisque les négociations qui ont repris à Vienne en mars 2021, quelques semaines à peine après l’arrivée de sa nouvelle administration ,( ce qui souligne le caractère absolument prioritaire de ce dossier pour le nouveau président),étaient encore au point mort à l’été 2021.

Interrompues au mois de juin en l’attente, selon les Iraniens, de la mise en place du nouveau gouvernement à Téhéran, elle pourraient reprendre à l’automne ,l’Iran n’ayant aucun intérêt à apparaître comme celui qui rompt la discussion avec la communauté internationale. « Nous chercherons à lever les sanctions tyranniques des États Unis » a ainsi indiqué le Président Raïssi, peu après son élection…

En effet, tout en critiquant férocement et publiquement, l’ancien Président Rohani et son ministre des affaires étrangères Zarif, jugés trop naïfs ou trop proches des Occidentaux, ni l’Ayatollah Khamenei, ni son probable successeur, Raïssi, n’ont évoqué une éventuelle rupture. En revanche, le message du « Guide » Khamenei est clair : « les générations futures (en Iran) doivent tirer la leçon des négociations nucléaires sous le précédent gouvernement, et se défier de l’Occident…Faire confiance à l’Occident (comme l’ont fait Rohani et Zarif), ne marche pas. Ils ne veulent pas nous aider, et ils nous frapperont dès qu’ils le pourront. Et s’ils ne nous frappent pas quelque part, c’est qu’ils ne le peuvent pas » …

Dans un tel climat de défiance, les « lignes rouges” iraniennes restent donc les mêmes et sont peu susceptibles d’évoluer : maintien du cycle du combustible sur le sol iranien, pas de négociation sur les missiles, pas plus que sur la politique étrangère iranienne.

Mieux, les Iraniens exigent désormais des États Unis qu’ils s’engagent à renoncer à l’avance à tout nouveau retrait unilatéral (ce que les iraniens savent, naturellement, juridiquement impossible au regard de la Constitution américaine), ou que cet engagement soit garanti par les Nations Unies…

A ce stade, le moins que l’on puisse dire, c’est que la négociation ne s’engage pas sous les meilleurs auspices pour les occidentaux. Les Iraniens le savent parfaitement : même si leur situation intérieure, notamment au plan économique reste très difficile, aggravée par ailleurs par l’épidémie de Covid qui touche très durement le pays, les cartes géopolitiques, elles, ont profondément changé depuis le début de la négociation dans les années 2003 à 2015…en faveur de l’Iran.

Au début des années 2000, marquées par les attentats du 11 septembre 2001 et les guerres américaines d’Afghanistan et d’Irak, l’impression générale était encore celle d’une « hyper puissance » américaine, comme on le disait alors, certes frappée au cœur par le terrorisme, mais encore très impressionnante, partout dans le monde et singulièrement au Proche Orient que Bush Jr ambitionnait alors de démocratiser…Dans le contexte des années 2000, cette Amérique-là pouvait encore compter sur une sorte de neutralité bienveillante des Russes et Chinois pour tenter, par la diplomatie multilatérale, de bloquer la bombe iranienne.  

Ce paysage géopolitique a profondément été modifié depuis : l’Amérique d’Obama, comme celle de Trump, comme celle de Biden, est clairement engagée dans une ère de retrait historique du Proche-Orient, comparable à celui des Européens après Suez. L’épisode du recul d’Obama en 2013 alors qu’il s’agissait de sanctionner l’emploi d’armes chimiques par El Assad, est resté dans tous les esprits, ce recul ayant directement entraîné l’arrivée en force des Russes et des Iraniens en Syrie. Des Russes et des Iraniens, qui, après des années de guerre côte à côte en Syrie en soutien d’El Assad, viennent de conclure un accord de coopération militaire et multiplient les manœuvres militaires communes.

Quant à la Chine, elle fait figure désormais d’adversaire numéro un des États-Unis sur l’ensemble des domaines, du militaire à l’économie et à la technologie et ce, sur tous les théâtres régionaux. Décidée à en finir avec l’ordre américain dans les affaires mondiales, la Chine de XI Jingping a clairement choisi son camp, en signant en mars 2021 un accord économique avec l’Iran, pour une période de 25 ans. Premier importateur de brut dans le monde, elle n’hésite plus à violer, désormais ouvertement, l’embargo pétrolier sur l’Iran, important 17,8 millions de tonnes en 2020 (soit 306 000 barils jour en février 2021), puis 850000 barils jour en mars 2021, assurant ainsi très directement la survie financière du régime. Tout se passe comme si les puissances révisionnistes, Chine, Russie, Iran, avaient décidé de faire cause commune pour faire plier une Amérique désormais affaiblie à l’extérieur autant qu’à l’intérieur.

Quant aux alliés européens, qui eux aussi avaient joué un rôle majeur au début de la négociation avec l’Iran, ils ont dû subir toutes les avanies des zig zags washingtoniens : du refus de négocier du début des années 2000 sous Bush, à la précipitation d’en finir au plus vite d’Obama, jusqu’à la brutalité extrême de Trump quand il fallut se plier aux injonctions et autres sanctions extraterritoriales, après 2018…

Et surtout, les Américains paient cash, 20 ans après, le désastre géopolitique moyen oriental qu’ils ont eux-mêmes engendré après 2001. Désastre afghan, désastre Irakien, désastre syrien, laissant l’Iran en position dominante dans la région.

Au final dans cette affaire, Biden est désormais bien seul, et l’on voit mal à ce stade comment un JCPOA bis pourrait faire mieux que le précédent.

Les Russes et les Chinois se contenteraient sans doute, comme les Européens, d’une reconduction quasiment à l’identique, de l’accord de 2015 pour quelques années supplémentaires. Mais cet accord risque d’être encore plus imparfait que le précédent puisque depuis la dénonciation américaine de 2015, les Iraniens ont franchi un certain nombre d’étapes majeures dans la maîtrise du cycle du combustible vers une option militaire de plus en plus ouverte. Au mieux, quelques mois à peine séparent encore l’Iran de la bombe, avec ou sans accord. A minima, il conviendrait de remettre sous contrôle international la totalité du programme iranien’ obtenir la destruction ou l’exportation de l’uranium produit depuis la suspension de l’accord, et de s’assurer de la destruction de milliers de centrifugeuses…Vaste programme…

Au-delà, on voit mal à ce stade comment les « alliés » occidentaux empêcheraient les Iraniens de continuer à produire des missiles ou à poursuivre leur stratégie d’influence sur le Moyen-Orient et d’affaiblissement des rivaux arabes. Ces derniers demeurent en crise depuis 2011 ; les Américains sont partis de Syrie, cherchent à s’extraire de l’Irak et fuient piteusement d’Afghanistan, dans des conditions qui rappellent la déroute de Saigon. Quant aux Européens, ils sont depuis fort longtemps, totalement absents du Proche-Orient.

Faute d’Occidentaux, la balle est donc dans le camp des Russes, qui cependant n’ont aucun intérêt à se brouiller avec l’Iran, pays frontalier. Alors qui, pour empêcher la bombe chiite et bloquer l’expansion militaro théocratique de la République Islamique en Orient ?

En définitive, la balle reviendra inévitablement dans le camp des puissances régionales, à commencer par Israël et les pétro- monarchies du Golfe, liés depuis peu par les Accords d’Abraham et surtout par la crainte commune d’une Mollahrchie perse nucléaire.

Les Américains partis ou sur le départ, la région est clairement à la recherche d’un nouvel équilibre, alors que l’ombre portée de la nouvelle puissance iranienne se fait de plus en plus visible des frontières d’Israël à celles des Émirats et de l’Arabie ,dont les tankers et les installations pétrolières les plus sensibles ont été récemment attaqués (sans réaction ),par des drones et missiles iraniens…Il est intéressant de noter à cet égard, que les Émirats ont été les premiers à se retirer du guêpier yéménite ,tandis que l’Arabie Saoudite, pour qui le régime impie des Mollahs représente pourtant l’ennemi absolu, vient de renouer ces jours-ci le dialogue avec Téhéran.

À ce stade donc deux hypothèses sont possibles :
 

  • soit un nouvel accord est conclu dans le prolongement du JCPOA pour cinq ou 10 ans supplémentaires, mais aux conditions posées par les Iraniens, avec le soutien bienveillant des Chinois et des Russes, et celui, lâche ou résigné, des Européens. Et dans ce cas l’Iran consacrerait aux yeux du monde entier, son statut de pays du seuil, avec à tout moment la possibilité, mais non la certitude, pour Téhéran ,de conduire un essai nucléaire qui changerait la donne dans toute la région;
  • soit la négociation échoue ou s’enlise ,et s’en suivrait alors la probable intensification de la guerre larvée que se livrent Israël et l’Iran, pouvant aboutir à moyen terme ,sur un conflit ouvert entre les deux pays, Israël cherchant alors à détruire alors l’essentiel des installations atomiques iraniennes.

Dans la première hypothèse, la moins pire, si j’ose dire, la guerre larvée intra-régionale continuera et verra apparaître, inévitablement et très rapidement, d’autres candidats à la bombe, comme me l’ont personnellement confié les plus hauts dirigeants turc et saoudien. Car ni la Turquie, ni l’Arabie, ni les Émirats, ni l’Égypte ne peuvent se satisfaire d’un échiquier régional où seuls Israël et l’Iran posséderaient un statut nucléaire ou quasi nucléaire, ce que de facto un JCPOA bis conférerait sans le dire à l’Iran.

Ce ne sera pas le moindre des paradoxes que de constater qu’une négociation sur vingt ans et deux accords successifs, n’auront abouti au final, qu’ à déclencher une course aux armements nucléaires générale au Proche Orient…

Quant à la seconde hypothèse, la pire bien sûr, elle pourra conduire à une guerre dévastatrice, sans comparaison avec les guerres précédentes de l’Etat Juif, possiblement aussi dévastatrice que celle qui opposa l’Iran et l’Irak dans les années 80, en termes de pertes de vies humaines (entre 700 000 et 1,2 millions de morts) …

Aux frappes israéliennes, les Iraniens riposteront au moyen de missiles balistiques et de croisière tirés depuis leur propre sol, en plus des dizaines de milliers d’autres missiles tirés par leurs alliés du Hamas et du Hezbollah, depuis le sud-Liban, Gaza et la Syrie. Il ne faut pas exclure à ce moment-là, que des dommages civils, jugés intolérables en Israël, ne conduisent les responsables Israéliens à une éventuelle escalade nucléaire contre l’Iran..

Ce scénario catastrophe serait évidemment catastrophique au sens propre du terme, pour la région et pour le monde entier. Mais il ne saurait être exclu …

Ces deux scénarios, en le voit, sont d’une extrême gravité pour la stabilité du monde, y compris celui le plus favorable en apparence de la reconduction pour quelques années supplémentaires et quasiment à l’identique de l’accord de 2015. Dans ce cas, la communauté internationale aura peut-être gagné un peu de temps, un répit de quelques années, au cours desquelles il est toujours possible d’espérer une évolution, voire un effondrement, à ce stade très peu probable ,du régime de Téhéran.

Après tout, ne dit-on pas que même les dictatures finissent par tomber ?

L’ennui, c’est que l’Histoire enseigne que les régimes totalitaires, surtout lorsqu’ils sont porteurs d’une idéologie prétendument messianique, ce qui est le cas du régime théocratique chiite iranien, périssent immanquablement dans le sang et la guerre. Ce fut le cas de l’Allemagne nazie au siècle précédent, ou de la France Napoléonienne, un siècle plus tôt. Le contre-exemple de la désintégration de l’URSS, malgré l’optimisme naïf d’un Fukuyama, ne doit pas faire illusion, d’autant qu’une autre forme d’autoritarisme nationaliste s’est rapidement réinstallé au pouvoir à Moscou dès 2000 avec Vladimir Poutine.

En vérité, en ce début de XXIe siècle, l’ordre » libéral » porté par les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, apparaît sur la défensive, comme en bout de course, n’étant plus partagé que par une minorité d’États démocratiques, eux-mêmes d’ailleurs affaiblis par la mondialisation, une forme de pacifisme post-national et l’érosion de leurs propres valeurs (cf le «wokisme »).

En face, la politique de puissance, le nationalisme religieux ou non, la volonté de revanche sur l’Occident, sont de retour, portés par un ensemble d’États nations ouvertement révisionnistes. Là, en définitive, est l’enjeu de la nucléarisation de l’Iran.

Tout le problème, à présent, est que l’Occident, après avoir multiplié les erreurs en Orient, est devenu trop faible pour stopper à lui tout seul, la quête de l’arme atomique par les fanatiques de l’Islam chiite. Tandis que les autres « grands », devenus révisionnistes, la Chine et la Russie, préfèrent désormais la défaite américaine à la dénucléarisation du Proche Orient.

Dans ce jeu à somme nulle, je crains fort que la paix du monde, ne soit, dans un avenir plus proche qu’on ne l’imagine, la première victime…

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