Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Macron et l’Europe : l’hymne du cabri

Quel dommage, qu’en préparant sa conférence de presse du 9 décembre dernier sur sa prochaine présidence de l’Union européenne, Emmanuel Macron n’ait pas pris le temps de revoir la conférence de presse du Général De Gaulle, prononcée 56 ans auparavant, presque jour pour jour, le 14 décembre 1965, sur le même sujet !  

La leçon du vieux Président, pourtant, aurait mérité d’être retenue : « il faut prendre les choses comme elles sont », disait-il, « car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant l’Europe, l’Europe, l’Europe, mais cela n’aboutit à rien, ne signifie rien ».  

Mais Macron, lui, préfère le rêve, l’incantation, animé qu’il est d’une foi européiste aussi sincère que mystique. Parce qu’aucun doute ne n’effleure quant à son intelligence supérieure et à ses qualités d’homme d’État hors du commun, lui saura faire vivre, par la foi et la force des mots qu’il affectionne tant, cette « souveraineté européenne », qu’il ne cesse de proclamer. Une souveraineté sans peuple, mais qu’importe !

N’avait-il pas entamé son quinquennat le 7 mai 2017 à 22h30, sur l’esplanade du  Louvre, au son de l’hymne à la joie de Beethoven, devenu «  l’hymne  européen », après avoir été  celui des JO d’Hitler à Berlin en 1936 : « belle étincelle divine, fille de l’Élysée, nous entrons l’âme enivrée dans ton temple glorieux… » ?

N’avait-t-il pas promis quelques temps plus tard à la Sorbonne de « refonder » l’Europe ?  

Aujourd’hui, face aux réalités d’une Europe faible et divisée, dont les peuples partout, se détournent, Macron persiste et signe. Sa réponse invariablement, est toujours « plus d’Europe ». A ses concurrents, qui comme Valérie Pécresse, exigent de revoir les Traités, voire la Constitution, pour retrouver des compétences nationales sur l’immigration, notamment, lui répond qu’on ne touchera à rien.

Et pourtant, « quelles sont ces réalités », comme disait de Gaulle en 1965 ?

Souveraineté géopolitique ? En cette fin 2021, l’Europe est visiblement incapable de répondre au défi russe en Ukraine : et c’est Biden qui directement avec Poutine, court-circuite le processus dit « de Normandie » censé être l’apanage de la France et de l’Allemagne, face à la Russie. De même, l’Europe est tout aussi incapable de savoir si oui ou non elle laissera ses officiels participer aux jeux olympiques d’hiver de Pékin, alors que comme les autres, la France hésite entre pressions américaines et pressions chinoises. Quant à l’Afrique, où s’ingèrent désormais ouvertement Russes et Chinois, la France y est toujours dramatiquement seule pour y combattre le terrorisme et appeler au développement…

Souveraineté sur notre territoire ? Jamais les frontières de l’Europe n’auront autant été submergées par l’immigration de masse : après la Turquie et le Maroc, la Biélorussie utilise impunément des flots de migrants pour faire pression sur le ventre mou européen. Dans le Calaisis, des milliers de migrants attendent de franchir la Manche, tandis que Boris Johnson accuse la France de ne pas contrôler son littoral. Mais Macron ne dit mot de l’indispensable dénonciation des accords du Touquet, comme il attend toujours de Bruxelles une solution au contentieux sur la pêche, que juridiquement, la France ne peut plus gérer seule. L’Algérie refuse de reprendre ses sans-papiers malgré les injonctions pour une fois fermes de Paris ? Mais sans doute effrayé par son audace, Macron envoie Le Drian s’excuser à Alger du mauvais climat des relations franco algériennes... Et qu’annonce le futur Président de l’Union sur le dossier clé de l’immigration : un « pilotage politique de Schengen », ce qui ne veut rigoureusement rien dire, et une meilleure coordination du droit d’asile, mais sans toucher la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme…Autant dire, rien, là encore…

Souveraineté économique ? Le commerce extérieur français voit cette année, ses déficits exploser à plus de 100 milliards d’euros ,face aux 250 milliards d’excédents allemands, la dette française atteignant quant à elle un niveau sans précédent lui aussi de 120% du PIB, et  que dit Macron :  qu’il ne faudrait  pas « revenir au cadre budgétaire créée au début des années 90 »  ( comprendre la règle des 3%) . Question : au vu du décrochage français, jusqu’à quand l’Allemagne voudra-t-elle payer ?

Souveraineté militaire ? Après bon nombre d’autres européens, la Finlande vient d’acheter pour près de 9 milliards d’euros 64 chasseurs F-35 américains, plutôt que des Rafale ou des avions européens, tandis que les mêmes Américains viennent de proposer aux Grecs de leur vendre 4 frégates, en lieu et place des 3 frégates françaises déjà signées. Cela ne vous rappelle rien ? Quant aux achats en commun d’équipements européens, ils sont tombés à 11 % du total des dépenses de défense des Européens, loin des 35% prévus par la PESC, la fameuse politique étrangère et de sécurité commune…tout le reste allant aux fournisseurs américains. Ce qui n’empêche pas Macron de continuer à déclamer, imperturbablement une » défense commune » imaginaire, inexistante hors de l’OTAN, comme vient de le redire sans détour, le contrat de coalition du nouveau gouvernement allemand.

Souveraineté énergétique ? Comment relancer le nucléaire en France, alors que l’Allemagne est contre, et que toute la machinerie Bruxelloise, tirée par Berlin, envisage d’interdire de financer le nucléaire en tant qu’énergie » verte « dans le cadre du futur plan de transition économique européen ?  

En politique étrangère, le déni des réalités est la mère de tous les dangers.

Malgré le télescopage des calendriers, Macron a tenu coûte que coûte à exercer sa présidence de l’Union, en étant convaincu qu’elle consacrerait sa réélection à l’Élysée. Mais la vacuité du premier risque, bien au contraire d’ajouter aux difficultés de la seconde.

 

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