4 Octobre 2024
Il fut un temps, je peux en témoigner, où le président de la Commission européenne était désigné lors d’un tête-à-tête entre le président français et la chancelière allemande, dans un modeste bureau de la Représentation française à Bruxelles. Ce temps-là est révolu.
À l’aube de son deuxième mandat à la tête de la Commission, Ursula von der Leyen est désormais la vraie patronne de l’Europe, au mépris des traités. Elle, qui en 2019 avait été désignée par défaut après une carrière contestée en Allemagne comme ministre de la Défense, s’est de fait auto-renouvelée sans le moindre débat, auréolée de son rôle de chef de guerre autoproclamée dans la guerre d’Ukraine et de soi-disant vainqueur de la guerre contre le Covid. C’est elle qui dicte désormais aux États le choix de son équipe (le « Collège des commissaires »), qui définit son programme, et qui empiète de plus en plus sur la souveraineté des États : de la politique du logement à la défense, de la santé au numérique, jusqu’à la politique étrangère.
La Commission, nommée par les États membres, était censée n’être que leur outil au service de politiques menées en commun ; elle glisse de plus en plus vers une sorte de super-gouvernement détenteur de l’initiative législative, vaguement contrôlé par un vrai faux Parlement sans véritable peuple.
Avec la révocation du commissaire français sortant, Thierry Breton, que le président français venait pourtant de renommer, Ursula a confirmé qu’elle pouvait rouler dans la farine un Emmanuel Macron affaibli par son auto-dissolution, et s’asseoir littéralement sur l’un des pays fondateurs majeurs de l’Union. Dans un premier temps, Ursula a laissé Macron désigner Breton en échange de sa propre désignation, puis, une fois confirmée à son poste, elle a simplement annoncé que Breton n’aurait pas les attributions souhaitées par Paris. En revanche, un autre candidat aurait un rôle plus important.
De son côté, porté par son insatiable ambition, Breton avait cru pouvoir s’opposer frontalement à son ancienne patronne, au point d’envisager de lui succéder : c’est lui qui, au final, est limogé avec l’accord contraint et forcé de Macron, qui l’a immédiatement remplacé par son apparatchik favori, le transparent Stéphane Séjourné.
Si Macron tente de sauver les apparences en désignant seul, au nom du prétendu « domaine réservé » présidentiel, le commissaire français à Bruxelles sans consulter personne, la France, elle, est la grande perdante de l’opération. Même affublé du titre ronflant de Vice-président (il y en a six) chargé de la « stratégie industrielle », le modeste Séjourné, dont le parti « Renew » ne pèse plus grand-chose face au PPE de von der Leyen, aura bien du mal à s’imposer : la France va perdre la main sur les grands dossiers technologiques et commerciaux qu’elle ambitionnait de diriger.
Dans cette embrouille, dont les eurocrates se sont fait une spécialité, Breton, comme à son habitude, a su réussir sa sortie en démissionnant avec fracas juste avant sa révocation annoncée. Il est vrai que ce carriériste patenté connaît la musique. Pour s’être beaucoup agité dans les médias, il part, crédité d’avoir réussi la quête d’un vaccin contre le Covid (sept mois après les Américains !), un supposé réarmement industriel militaire de l’Europe (dont on peine à percevoir le moindre commencement de réalité dans les faits), sans oublier un choc frontal avec l’affreux Elon Musk.
Auparavant, ce spécialiste du « sauvetage » d’entreprises en difficulté (Bull, Thomson, France Télécom) était passé par Bercy sous Raffarin et Villepin. La dette avait explosé, bien plus que sous Jospin, comme l’avait noté à l’époque la Cour des comptes dirigée par Philippe Séguin, malgré les artifices financiers de 2006, comme la cession scandaleuse des autoroutes pour 16 milliards d’euros… Après Bercy, vint le tour d’Atos, le fleuron informatique français que Breton, à force de croissance externe effrénée, abandonna avec une montagne de dettes, avant d’exercer ses talents à Bruxelles. Au point que la société a perdu 90 % de sa valeur (de 5 milliards en 2019 à 588 millions aujourd’hui)…
Triste spectacle, qui en dit long sur le déclin de la France et le rôle funeste de ses « élites »…
Pierre Lellouche
Tribune VA 18/09/24