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Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Jeu de go à Taiwan

Si une guerre doit éclater un jour entre les États-Unis et la Chine, Taiwan en sera à coup sûr le détonateur. Et l’automne 2021 marquera peut-être un tournant majeur dans cette crise larvée depuis 72 ans. Se mettent en effet en place sous nos yeux, les uns après les autres, tous les ingrédients d’un conflit majeur.

Côté chinois, la célébration, de la fête nationale, le 1er octobre, date de l’arrivée au pouvoir du Parti communiste en 1949, a été accompagnée par des manœuvres d’intimidation d’une virulence sans précédent de la part de Pékin. Pas moins de 145 avions de combat de l’armée de l’air chinoise ont violé l’espace aérien taïwanais en quatre jours. Le tout étant accompagné d’une déclaration solennelle de Xi Jinping devant l’Assemblée du palais du peuple : « la réunification devra être réalisée et le sera », en ajoutant cependant qu’elle se ferait par des » moyens pacifiques ».

Avec sa maladresse habituelle, Biden répondit le 21 octobre, à une question de CNN sur l’éventuelle entrée en guerre des États-Unis en cas d’attaque contre Taiwan : « oui, nous sommes engagés à cela ». Déclaration immédiatement contredite par un communiqué embarrassé de la Maison-Blanche, rappelant que la politique américaine restait inchangée,en vertu de la posture dite « d’ambiguïté stratégique » contenue dans le « Taiwan Relations Act « adopté par le Congrès le 1er janvier 1979 : « les États-Unis livreront à Taiwan des armes défensives et maintiendront la capacité de résister à tout usage de la force ou autre forme de coercition ,qui viendraient menacer la sécurité, le système social et économique du peuple de Taïwan ». Mais pas plus…Ce qui n’empêcha pas Biden, toujours lui, de réitérer quelques jours plus tard: « nous sommes profondément préoccupés par les actions coercitives et agressives de la Chine dans le détroit de Taiwan »…

Intervenant dans cet échange, la présidente taïwanaise en profita pour réaffirmer la volonté farouche de son peuple de « résister à l’annexion »,et sa « confiance » dans la protection accordée par les États-Unis ,en révélant même que les soldats américains étaient déjà déployés dans l’Ile…

Cette guerre des mots ravive une histoire violente et tourmentée. Avant de s’imposer comme la capitale mondiale, du hi tech et des semi-conducteurs, prospère (le 15eme PIB mondial pour 23 millions d’habitants) et démocratique , Taiwan fut successivement Chinoise sous la dynastie des Qinq, puis conquise par le Japon en 1895,puis rendue à la Chine en 1945 ,avant de servir de refuge au Kuomingtang en 1949.

Deux guerres, oubliées aujourd’hui s’en suivirent pour le contrôle de chapelets d’îles situées dans le détroit de Taiwan : Qemoy et Matsu. A deux reprises, en 1954-55 et en août-septembre 1958,la VIIeme flotte américaine dut intervenir,et à deux reprises l’ État Major americain sollicita l’emploi d’armes nucléaires tactiques contre des forces chinoises numériquement supérieures…Eisenhower refusa,mais les Taïwanais obtinrent en 1955 un accord de défense en bonne et due forme,abandonné lors de la reconnaissance de la Chine par les États Unis en décembre 1978.

Depuis ,”l’ambiguïté stratégique “a été fortement malmenée par l’impressionnante montée en puissance des armées chinoises et notamment de sa marine de guerre, aujourd’hui forte de 350 navires de combat, face aux 293 navires américains. Pire, les Chinois ont développé un considérable arsenal de missiles anti- navires à longue portée ,complété tout récemment par l’avènement d’un missile hypersonique manœuvrable, que le chef d’état major américain a comparé à un véritable tournant, à « un moment presque équivalent au Spoutnik » selon ses propres termes. Avec la stratégie du jeu de go employée par Pékin en mer de Chine, occupant les uns après les autres des chapelets d’îles appartenant aux pays voisins (Vietnam Philippines en particulier), c’est à une véritable stratégie de strangulation, lente mais irrémédiable, de Taiwan à laquelle on assiste, en même tant que se développent les capacités chinoises d’interdiction de l’ensemble de la région aux marines étrangères.

Des jeux de guerre récemment menés à Washington ont ainsi montré que les Américains, faute de moyens militaires suffisamment importants sur zone,auraient le plus grand mal à dissuader une attaque chinoise limitée (similaire à l’annexion de la Crimée par Poutine), contre des îles taïwanaises de Pratas. En somme, en cas de guerre, la Navy risquerait le même sort que la marine russe, venue de Kronstadt, contre le Japon en 1905…Pour la première fois, un grand Empire Européen avait été défait par une puissance asiatique émergente, et cela avait changé le monde…Et même si un sondage récent montre que 52 % des Américains sont favorables à une assistance militaire américaine à Taïwan en cas d’agression, on peut douter que dans le middle West, à New York en Californie on ait envie de mourir pour sauver les semi-conducteurs de TSMC…

 

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