23 Octobre 2021
Un an tout juste après son élection à la présidence de la république, Emmanuel Macron effectuait, en mai 2018, un long déplacement en Australie et en Calédonie pour lancer officiellement sa grande «stratégie Indo Pacifique » ,un « nouvel ordre géostratégique » selon ses propres termes. Rien que ça !
Le rêve du nouveau Président : arrimer crânement la France à la première zone économique du monde, et ce malgré l’affrontement sino- américain dans le Pacifique, en s’appuyant sur deux leviers. Ses territoires dans la zone, tout d’abord : de la Réunion à l’Ouest, jusqu’à la Calédonie et à la Polynésie à l’Est, lesquels lui apportent l’essentiel de son immense zone économique maritime de 11 millions de kilomètres carrés, la deuxième au monde. Mais en s’appuyant aussi - c’était la grande idée de Macron - sur un réseau de « partenariats stratégiques » noués notamment avec l’Inde et l’Australie, au moyen de ventes d’armes sophistiquées : Rafales pour les premiers, sous-marins pour les seconds.
Las ! Alors qu’il achève son quinquennat, le rêve est devenu cauchemar. Paniqués par la poussée militaire chinoise dans la région, les Australiens ont profité de l’arrivée de Biden pour se placer sous la protection des Anglo-Américains : non seulement le contrat des sous-marins est brutalement annulé le 15 septembre dernier, mais la France se trouve littéralement éjectée de la région par le nouvel accord de défense AUKUS, conclu secrètement entre les trois anglo-saxons, dans le dos de la France. Terrifiée par la poussée chinoise, non seulement en Mer de Chine méridionale, mais également dans l’arc d’îles (Vanuatu, Salomon, Papouasie) qui l’entoure au Nord, inquiète de l’ingérence croissante et des sanctions chinoises contre elle après l’affaire du Covid, l’Australie a simplement conclu que la France ne faisait plus le poids…Mieux valaient des sous-marins américains ,avec si possible à bord, des marins américains…Macron a boudé (un peu),puis s’est résigné…
Mais, comme disait Chirac, » les emmerdes volent en escadrille ».
Après le Trafalgar australien, se profile un autre défi, tout aussi problématique : celui du maintien de la souveraineté française en Nouvelle-Calédonie.
Le 12 décembre prochain, à quelques semaines donc du 1er tour de l’élection présidentielle, devrait se tenir -s’il est maintenu- le troisième référendum d’un processus d’autodétermination commencé il y a 30 ans, mais qui doit cette fois définitivement trancher la question de savoir si la Calédonie doit ou non demeurer partie intégrante de la République française.
L’affaire est mal engagée : prétextant une aggravation de l’épidémie de Covid, les indépendantistes qui avait pourtant réclamé la tenue du référendum pour le mois de décembre 2021, veulent à présent le reporter après les échéances présidentielles, et sont prêts à boycotter le scrutin s’il devait être maintenu par Paris.
Et de nouveau la tension s’installe en Calédonie, où chacun garde en mémoire les conditions dramatiques dans lesquelles le « Caillou » s’était invité une première fois dans une campagne présidentielle française.
C’était en 1988, avec l’affaire de l’enlèvement des gendarmes français par les indépendantistes Kanaks, puis l’assaut sanglant de la grotte d’Ouvéa …entre les deux tours de l’élection présidentielle.
30 ans plus tard, rien n’est réglé. Les deux référendums déjà tenus en 2018 et 2020 ont certes donné une majorité au « non » à l’indépendance, mais une majorité relativement étriquée de 53 %, le corps électoral interdisant aux ressortissants français de la métropole de participer au scrutin, sauf s’ils sont inscrits depuis 1998 ou s’ils peuvent justifier d’une résidence constante en Calédonie 20 ans durant jusqu’au 31 décembre 2014… Car la Calédonie connaît un régime d’exception au regard du droit ordinaire : avec des statistiques ethniques, pourtant interdites en Métropole, et pas moins de trois listes électorales selon les scrutins: nationaux, locaux ou référendums…les autochtones, minoritaires dans l’île (45%de la population) étant en quelque sorte prioritaires…tandis que 25000 électeurs installés plus récemment sur le Caillou, ne pourront pas voter…
A ce stade, la Calédonie et ses 280 000 habitants est donc ethniquement, géographiquement et politiquement coupée en deux : au Nord, et dans les îles, une population majoritairement Kanak, régie par le droit coutumier et farouchement indépendantiste ; au Sud, une population de souche essentiellement européenne, qui entend rester dans la République. Et cela, le résultat du scrutin du 12 décembre,s’il est maintenu, n’y changera rien ,aucun des deux camps n’ayant l’intention de vivre sous la loi de l’autre, de l’avis même des intéressés…
Jusqu’ici, en raison du traumatisme de l’affaire d’Ouvea, l’État français s’était prudemment réfugié dans une attitude de « d’impartialité », ne voulant aucunement prendre parti dans un débat référendaire relevant selon le ministre Lecornu en charge du dossier, d’un processus de « décolonisation à la Française « non » (sic!).
Le naufrage des sous-marins a brutalement réveillé Macron. Au Sénat, le premier ministre Castex réfute désormais toute accusation « d’indifférence » et insiste même sur le « souhait fort que le choix des Calédoniens soit celui de la France »…Il était temps…
C’est que le Trafalgar australien rend aujourd’hui le « en même temps » macronien impossible à tenir. Si la France entend effectivement rester une puissance du Pacifique,et tenter de rebâtir une stratégie pour la région, alors, elle doit impérativement préserver sa souveraineté sur le « Caillou » et même y construire une base aéronavale conséquente, au lieu de l’unique patrouilleur vieillissant et des quelques aéronefs déployés à Nouméa.
Car la Chine, elle, cache difficilement ses appétits pour nos territoires du Pacifique, dont elle a besoin pour encercler la Navy américaine et l’Aukus, mais d’où elle espère tirer également demain, d’immenses ressources halieutiques et minières (la Calédonie étant le deuxième pourvoyeur mondial de nickel, essentiel par exemple aux batteries automobiles) .
Déjà, en Polynésie les Chinois sont omniprésents et investissent désormais les pêcheries. En Calédonie, les réseaux d’influence chinois, bras armés du Parti Communiste de Pekin, sont actifs, via notamment « l’Association d’amitié sino-caledonienne », au plus près de certains leaders indépendantistes, comme Roch Wamytan, tandis que des entreprises chinoises ne cachent pas leur intention de reprendre l’usine de Nickel su Sud, actuellement en grande difficulté…
D’ici au 12 décembre, et au delà, le défi sera donc de savoir comment la France entendra conserver sa souveraineté en Calédonie, et sous quelle forme. Le tout, en évitant une possible éruption de violence en pleine présidentielle…