Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Les « confettis d’empire » s’invitent dans la campagne

Après deux semaines de violences d’une rare intensité, qui ont embrasé la Guadeloupe puis la Martinique, le ministre des outre-mer, Sebastien Lecornu, s’est finalement résolu à prendre l’avion, dimanche 28 novembre, pour les Antilles. Il était grand temps.

Au prétexte de protester contre le passe sanitaire et l’obligation faite aux soignants et aux pompiers de se faire vacciner avant la fin du mois, la Guadeloupe, puis la Martinique, ont basculé depuis deux semaines dans une violence générale, quasi insurrectionnelle : boutiques et immeubles calcinés ou pillés , multitude de barrages  routiers  ,y compris devant les hôpitaux et les casernes de pompiers ,et même tirs à balles réelles contre les forces de police.

Après des jours de tergiversations diverses, Sébastien Lecornu avait fini par accoucher depuis son bureau parisien, d’une vidéo de 16 minutes dans laquelle il proposait  quelques aménagements pour la vaccination des personnels (retardée à la fin décembre), un millier d’emplois » aidés », c’est-dire d’emplois parkings temporaires pour soulager la pression sur le chômage de masse parmi les jeunes ,en assortissant ces modestes gestes d’apaisement à un « débat » sur une éventuelle « autonomie » de la Guadeloupe.

Au final, une bien piètre manœuvre de diversion, immédiatement dénoncée comme telle dans les Antilles comme en Métropole. Ce qui finit par convaincre l’État au plus haut niveau qu’il fallait décidément envoyer le Ministre dès le lendemain sur place, afin d’entamer un dialogue de sortie de crise.

Le malheur pour ces territoires, comme pour le pays tout entier, est que rien dans cette crise (sauf son prétexte, lié à la pandémie), n’est nouveau, et que tout était prévisible !  

Car ces derniers événements ne sont que la répétition des grandes grèves de 2008- 2009 en Guadeloupe et en Martinique, et un épisode de plus dans une longue série de révoltes dans nos départements et territoires d’outre-mer toutes ces dernières années : en 2017 en Guyane, en 2018 à Mayotte, sans oublier les grandes manifestations à la Réunion à l’occasion du mouvement des gilets jaunes, lequel avait eu un très fort retentissement dans l’Ile.  

Autant d’éruptions à répétition auxquelles il convient d’ajouter la situation extrêmement tendue en Nouvelle-Calédonie, à l’approche du troisième référendum prévu le 12 décembre, c’est-à-dire dans quelques jours- référendum boycotté à l’avance par les indépendantistes Kanaks.

Ce n’est naturellement pas la première fois que l’Exécutif tente de noyer dans un débat institutionnel, les crises sociales à répétition que connaissent nos départements et territoires ultra marins, que Napoléon avait jadis appelés « les confettis de l’Empire » . Des référendums ont notamment eu lieu en Guadeloupe et en Martinique en 2003, puis à nouveau en 2010 dans ces deux départements : à chaque fois les Antillais à une majorité écrasante de 70 ou 80 % ont manifesté leur volonté de ne pas toucher aux institutions existantes.  

Dans la crise présente, en dehors de quelques élus locaux proches de la République en marche, aucun manifestant en Guadeloupe, aucun syndicat ou leader connu comme Domota, n’a réclamé d’évolution institutionnelle vers l’autonomie.

Le point commun entre les événements actuels de Guadeloupe et de Martinique et la situation générale de nos 12 départements et Territoires d’outre-mer avec leurs 2,75 millions d’habitants (soit un peu plus de 4 % de la population nationale), répartis sur trois océans, c’est partout l’extrême délabrement de la situation économique et sociale locale, aggravée dans le cas de Mayotte et de la Guyane, par l’explosion de l’immigration clandestine.

Partout, le taux de chômage local atteint des niveaux très supérieurs à celui de la métropole (8 %) : il est de 35 % à Mayotte, de 23 % en Guadeloupe (mais de 35 % pour les jeunes de moins de 25 ans), de 24 % à la Réunion où de 22 % en Calédonie. Partout également, les prix et notamment les prix des biens de consommation courante, à commencer par l’alimentation, sont beaucoup plus élevés qu’en métropole : + 12,5 % en Guadeloupe, + 7 % à la Réunion, +38 % en Polynésie…

Et pour aggraver le tout, la situation et la qualité des services publics élémentaires, la santé bien sûr, mais même l’eau potable, est souvent intolérable comme c’est le cas en Guadeloupe depuis de nombreux mois.

Autrement dit, la crise guadeloupéenne et martiniquaise était tout sauf imprévisible. Le problème est que, toutes ces dernières années, ses causes n’ont jamais été sérieusement appréhendées comme telles, et encore moins traitées.

Et pourtant l’État déverse chaque année au moins 18 milliards d’euros dans ces départements et territoires d’outre-mer : 4 milliards à la Réunion, 2,5 milliards en Guadeloupe, 2 milliards en Martinique,1 milliard en Guyane, auxquels s’ajoutent plus de 3,5 milliards de niches fiscales diverses: exonérations de TVA ou défiscalisation des  investissements  productifs, le coût des missions régaliennes de l’État, sans oublier la majoration des salaires des fonctionnaires employés dans ces territoires( +40 % dans les Antilles ,+ 100 %  en Polynésie…). Au passage, le coût de ces majorations pour les 160 000 agents concernés atteint 1,5 milliards d’euros par an…

Cette manne n’empêche pas la plupart des communes de ces territoires de se trouver en permanence, très fortement endettées.  

D’après un rapport remis au premier ministre en 2019 par un sénateur guyanais, Georges Patient, et un député du Gers, Jean-René Cazeneuve, joliment intitulé « Accompagner en responsabilité », sur 129 communes, 84 sont en alerte financière locale, 26 font l’objet d’un plan de redressement et 24 voient leurs budgets directement arrêtés par le préfet… Le point commun pour toutes ces collectivités territoriales, c’est bien sûr l’explosion des recrutements d’agents publics locaux, devenus l’instrument privilégié du traitement social du chômage, cela en l’absence d’investissements économiques susceptibles d’assurer le niveau de vie et l’emploi. Autant de dérives que dénonce régulièrement la Cour des Comptes qui souligne que « le niveau de majoration des traitements dans la fonction publique ne correspond pas à des contraintes réelles ». La même Cour épingle par ailleurs nombre d’investissements financés à grand renfort d’argent public, dont l’intérêt économique reste au mieux discutable, comme par exemple les 87 millions d’euros investis dans l’agrandissement du port de Jarry en Guadeloupe, qui  n’a vu aucune augmentation de trafic, ou les 400 millions investis dans deux lignes de bus en Martinique, dont le patron indépendantiste Alfred Marie Jeanne refuse toujours l’entrée en service en raison de leur  coût…

Dans ces conditions, on comprend mieux que l’ambitieux Sébastien Lecornu qui rêve de diriger la campagne d’Emmanuel Macron et qui consacre beaucoup de son temps à organiser des comités de soutien en vue de la réélection de son Président à travers tous les départements de métropole, n’ait pas eu le loisir de définir un plan d’ensemble de relèvement économique et social pour ces territoires…

Pourtant, la crise est là, partout. Et elle exige des moyens considérables : notamment de lutte contre l’immigration clandestine en Guyane et à Mayotte, mais aussi une vraie stratégie d’investissement de long terme temps dans les Antilles, dans l’Océan Indien et dans la zone Pacifique.  

Le moins que l’on puisse dire c’est que sur tous ces plans, très peu a été fait ces cinq dernières années, et que la tâche s’annonce vertigineuse pour le prochain président…

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