16 Mars 2022
Depuis le début de la crise, devenue guerre, en Ukraine, Vladimir Poutine est parvenu constamment à conserver le contrôle de l’escalade, à la fois politique et surtout militaire. En face, les démocraties, sur la défensive, n’ont cessé de subir, cantonnées au rôle de spectateurs de leur propre histoire.
Cette guerre aurait certainement pu être évitée si la négociation avait eu lieu à temps, organisant une neutralisation ordonnée de l'Ukraine dans le respect de ses frontières. J’étais moi-même publiquement partisan d’une telle négociation, et j’ai regretté, dans ces colonnes mêmes, qu’elle n’ait pu avoir lieu du fait de la position choisie par Washington : celle de la « porte ouverte » à l’OTAN.
En écartant un statut de neutralité pour l’Ukraine, à l’image de l’Autriche ou de la Finlande (un statut aujourd’hui demandé par Zelensky!), tout en indiquant à l’avance qu’elle n’interviendrait pas dans un conflit qu’elle annonçait elle-même comme imminent, l’Administration Biden a puissamment contribué à ce désastre. Poutine pourrait faire « sa » guerre sans risque d’interférence extérieure, sauf sanctions économiques, auxquelles il était de toutes façons habitué depuis des années.
Mais à présent, une guerre totale est engagée, qui risque à tout moment de dégénérer, car la guerre se passe mal pour l’agresseur. La poussée de Poutine demeure continue, une poussée que les seules sanctions économiques, au demeurant incomplètes, et quelques livraisons d’armes ne parviennent pas à stopper.
Dans ces conditions, et alors qu’un sommet exceptionnel de l’OTAN doit se tenir cette semaine en présence de Biden, il est impératif pour les Occidentaux de se résoudre à se doter enfin d’une stratégie digne de ce nom : bloquer Poutine en lui déniant le contrôle de l’escalade.
1- Poutine contrôle l’escalade depuis le début de la crise.
C’est d’abord l’ultimatum du 15 décembre 2021,quatre mois jour pour jour après la débandade américaine à Kaboul. Poutine exige la neutralisation immédiate de l’Ukraine, l’arrêt de l’extension de l’OTAN vers l’Est , et le retrait des forces occidentales déployées aux frontières de la Russie. En réponse, Washington et ses alliés signalent qu’ils étaient ouverts une négociation sur la limitation des armements. Mais sur la question cruciale du statut de l’Ukraine et de l’extension de l’OTAN , ils ont choisi la pire des positions possibles : ni négociation, ni garantie de sécurité élargie à l’Ukraine.
Ce premier recul, consacré lors de la conférence de sécurité de Munich les 22 et 23 février 2022, en présence des plus hautes autorités américaines ( la Vice-presidente Kamala Harris était sur place), et de l’OTAN, a convaincu Poutine qu’il pourrait obtenir par la force ce qu’il n’obtiendrait pas par la négociation, sans risque de voir les Alliés venir à la rescousse de l’Ukraine.
Le lendemain même, 24 février, l’invasion a commencé…
2- Le contrôle de l’escalade s’est poursuivi ensuite dans le déroulement de la guerre.
Chacun sait désormais que l’offensive éclair prévue initialement a échoué : Kiev n’a pas pu être prise rapidement, le peuple ukrainien et son armée ont résisté ,et le président Zelenski est toujours en place,gagnant même la guerre de communication contre Moscou.
Poutine s’est donc résolu à une guerre longue, et dès le 27 fevrier, trois jours après le début de son invasion, il a agité pour la première fois la menace d’une escalade nucléaire pour s’assurer que les occidentaux n’interviendraient pas. Ses menaces ont été répétées à plusieurs reprises depuis, causant même une forte vague d’inquiétude à l’Ouest et la ruée sur les pilules d’iode en Pologne et ailleurs…
C’est donc une guerre de terreur comparable au Blitz de Hitler contre Londres , qui a été entamée depuis une quinzaine de jours contre de très nombreuses localités ukrainiennes. Les infrastructures et la population sont directement visées : le but étant de briser la volonté de résistance des ukrainiens et amener ainsi l’effondrement du pays. Cette stratégie, menée au moyen de l’artillerie ,des missiles et de l’aviation, se déroule sans interférence de la part des occidentaux, malgré les appels à l’aide des Ukrainiens. La demande pressante et répétée d’une zone d’exclusion aérienne au dessus de l’Ukraine ayant été formellement écartée per les Occidentaux.
La guerre à outrance désormais conduite par Poutine a conduit à l’exode de 3 000 000 de civils ukrainiens et à plusieurs milliers de victimes dans la population civile.
Peu à peu le nœud coulant est en train de se refermer autour des principales agglomérations ukrainiennes, y compris la capitale.
À ce stade Poutine refuse toujours tout cessez le feu, et encore moins une solution négociée. Il attend que le pays s’effondre afin d’ imposer un règlement selon ses conditions à lui : changement de régime à Kiev, neutralisation du pays ,et probablement aussi annexion de la partie sud et est de l’Ukraine, à commencer par la totalité de la rive nord de la mer Noire et de la mer d’Azov.
Entre temps, à Marioupol comme hier en Syrie, Poutine et Lavrov emploient le chantage des corridors humanitaires avec un cynisme absolu, prenant en otages les populations civiles assiégées.
3- Malgré les sanctions, Poutine conserve le contrôle de l’escalade politique et économique.
Face à de telles exactions, poussées par leurs opinions publiques,les Occidentaux ont pris les sanctions financières sans précédent, et des armes ont été livrées aux combattants ukrainiens.
Mais là encore le bilan est mitigé : l’isolement politique, apparemment réussi lors du vote de l’assemblée générale des Nations unies en raison du nombre des Etats condamnant la Russie, n’est que partiel puisque la moitié de l’humanité avec la Chine et l’Inde, mais aussi les principaux pays arabes producteurs de pétrole et de gaz, ont choisi de s’abstenir .
Beaucoup de ces sanctions ,y compris symboliques, comme la fermeture des magasins occidentaux, des restaurants McDonald’s, sont mal vécues par la population russe, qui prend cela comme une punition injuste , si bien qu’à ce stade, le régime de Poutine n’est nullement menacé. Une bonne partie de la population,soumise à une propagande de chaque instant et à des limites drastiques quant à sa liberté d’expression, semble être convaincue que l’armée russe combat bien contre le » nazisme « en Ukraine.
Plus problématique et le fait que, si Washington a décidé sans difficulté de mettre sous embargo toute importation de pétrole russe (car ces importations de comptent guère dans le mix énergétique américain) , les Européens eux, n’ont pas été capables de prendre ce type de décision. Si bien que trois semaines après le début de la guerre, les Européens continuent de financer celle-ci à hauteur d’au moins 800 millions de dollars par jour, pour paiement de leurs achats d’hydrocarbures et de gaz russe . Reunis à Versailles, dans ce qui devait être une sorte de grand Conseil de guerre, ou à tout le moins le tournant du grand réveil européen face aux périls de l’heure, les Européens n’ont pas été capables d’interrompre ce financement. Ni de prendre des décisions fortes. Ainsi,l’Allemagne aurait pu réouvrir trois centrale nucléaires qu’elle vient de fermer, la Belgique également qui a fermé tout récemment une centrale nucléaire ,mais ces décisions n’ont pas été prises pour des raisons de politique intérieure…
Au total , malgré leur ampleur, les sanctions occidentales ne seront donc nullement mortelles pour la Russie, dont les relations économiques et financières sont appelées à se développer avec d’autres partenaires, à commencer par la Chine ,la grande bénéficiaire de cette guerre . Mieux, les contre sanctions russes de l’espace à l’agriculture, menacent d’entraîner des conséquences redoutables pour les pays concernés . Là encore, Poutine a réussi tant bien que mal, à maintenir le contrôle de l’escalade …
4- Le contrôle de l’escalade et les livraisons d’armes.
Il en va de même pour les livraisons d’armes annoncées dès le début par l’union européenne, puis par les États-Unis.
De telles livraisons posent évidemment problème,l’OTAN cherchant à éviter d’être entraîné dans le conflit.
Raison pour laquelle l’annonce très prématurée de Borell quant à la livraison d’avions de combat à l’Ukraine par l’UE, est restée lettre morte.
Comme l’a été ,de façon presque ridicule, l’idée américaine de demander à la Pologne de livrer sa flotte d’une vingtaine de Mig 27 vieillissants a l’Ukraine. Ne voulant pas prendre le risque d’ être entraîné dans la guerre , Varsovie a d’abord refusé,puis a cherché ensuite à « mouiller » les Américains, en offrant d’expédier « gratuitement « ses avions sur la base principale de l’OTAN en Allemagne, Rammstein,à charge pour les Américains de les acheminer ensuite en Ukraine…en survolant l’Allemagne…Comme il était prévisible, les États-Unis ont refusé cette proposition, qui aurait risqué d’entraîner une confrontation directe avec la Russie.
Cet épisode peu glorieux illustre le dilemme des Occidentaux : comment aider l’Ukraine sans être entraîné dans la guerre ?
Dans cette affaire, Poutine n’a pu que conclure que la dissuasion occidentale se résumait désormais à une nouvelle doctrine, qu’on pourrait appeler ironiquement celle de la « patate chaude » : personne ne voulant prendre le moindre risque.
Profitant là encore de ce recul, les Russes mis leurs menaces à exécution le 13 mars, en frappant très brutalement les installations militaires ukrainiennes situées tout près de la frontière polonaise, servant à la formation des volontaires étrangers et au stockage des armes livrées par les Occidentaux.
5- L’escalade à venir: le chimique.
Plus préoccupante encore est la montée de la pression Russe sur le front des armes biologiques et chimiques. La campagne de dénonciation, y compris à l’ONU , de prétendues installations ukrainiennes de production d’armes d’armes nucléaires , biologiques et chimiques , n’a d’autre but que de préparer l’opinion internationale à l’emploi d’armes chimiques par les forces russes.
Il faut prendre ce scénario très au sérieux.
En Syrie , les Russes ont protégé El Assad lorsque celui-ci a utilisé ses armes chimiques en 2012- 2013, à la Ghouta, puis en leur présence , ont laissé ces mêmes armes être utilisées à nouveau en 2017 par leur allié syrien . À chaque fois, les Russes ont d’abord nié l’existence d’armes chimiques,puis quand cet emploi a été démontré, ils se sont arrangés pour offrir aux Américains une échappatoire sous la forme d’un « accord » prévoyant la destruction des armes chimiques syriennes, ce qui permit , en 2013 à Obama, de ne pas faire respecter sa fameuse » ligne rouge » sur l’emploi de ces armes.
Il est malheureusement à craindre que si l’armée russe devait s’enliser dans un combat de longue durée dans les villes ukrainiennes, la condamnant à subir des pertes lourdes, et à recourir au renfort de nombreux conscrits pour occuper ces villes, l’emploi des armes chimiques risquerait de s’imposer alors comme la façon d’en finir au plus vite et d’obtenir la reddition des ukrainiens .
Si Poutine ne trouvait ,face à lui à ce moment-là ,qu’une nouvelle version de la dissuasion de la patate chaude, alors il faut craindre que ce scénario ne devienne assez vite une réalité.
En d’autres termes nous risquons dans un avenir proche de nous heurter :
-soit à des attaques répétées sur des installations militaires aux frontières de la Pologne et peut-être même en Pologne même , pour interrompre le flot des livraisons d’armes occidentales;
-soit , voire en même temps, à une attaque chimique contre les populations civiles dans une ou deux grandes villes ,
-voire même à un tir “de démonstration” d’une arme nucléaire tactique , afin de dissuader les pays l’ OTAN de venir en aide aux Ukrainiens…
6- Reprendre le contrôle de l’escalade.
Il faut craindre que compte-tenu des faiblesses des réactions occidentales jusqu’à présent, Poutine ne continue imperturbablement sa conquête et la destruction de l’Ukraine, y compris en ayant recours aux armes chimiques.
Il ne reculera et choisira une sortie diplomatique que lorsque le risque d’une escalade lui paraîtra réel,mettant en danger la survie même de son régime.
Il faut donc des à présent nous préparer à ce que nous ferions dans cette hypothèse.
Pour éviter d’être mis devant le fait accompli, la meilleure stratégie serait de reprendre au plus vite le contrôle de l’escalade. Ce qui passe:
- Par l’arrêt immédiat du financement de la guerre de Poutine , ce qui implique l’embargo total immédiat sur les importations d’ hydrocarbures et de gaz ;seul un tel signal montrerait à Poutine une détermination réelle de notre part.
- Le rappel solennel à l’ONU, au conseil de sécurité comme à l’assemblée générale, du principe de l’interdiction absolue de l’emploi des armes chimiques ;
Cela afin de lui indiquer de le franchissement du seuil des armes chimiques ne pourrait pas rester sans réponse;
-en cas d’attaque débordant sur le territoire des États membres de l’ OTAN situés à proximité immédiate de l’Ukraine , l’annonce à l’avance d’une riposte militaire proportionnée et immédiate .
- Ces mesures seraient assorties d’une offre de cessez-le-feu immédiat ,suivi d’une négociation concernant le statut de Ukraine : neutralité contre retrait des forces russe et respect des frontières.