Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Reprendre à Poutine le contrôle de l'escalade

Depuis le début de la crise, devenue guerre, en Ukraine, Vladimir Poutine est parvenu constamment à conserver le contrôle de l’escalade, à la fois politique et surtout militaire. En face, les démocraties, sur la défensive, n’ont cessé de subir, cantonnées au rôle de spectateurs de leur propre histoire.

Cette guerre aurait certainement pu être évitée si la négociation avait eu lieu à temps, organisant une neutralisation ordonnée de l'Ukraine dans le respect de ses frontières. J’étais moi-même publiquement partisan d’une telle négociation, et j’ai regretté, dans ces colonnes mêmes, qu’elle n’ait pu avoir lieu du fait de la position choisie par Washington : celle de la « porte ouverte » à l’OTAN.

En écartant un statut de neutralité pour l’Ukraine, à l’image de l’Autriche ou de la Finlande (un statut aujourd’hui demandé par Zelensky!), tout en indiquant à l’avance qu’elle n’interviendrait pas dans un conflit qu’elle annonçait elle-même comme imminent, l’Administration Biden a puissamment contribué à ce désastre. Poutine pourrait faire « sa » guerre sans risque d’interférence extérieure, sauf sanctions économiques, auxquelles il était de toutes façons habitué depuis des années.

Mais à présent, une guerre totale est engagée, qui risque à tout moment de dégénérer, car la guerre se passe mal pour l’agresseur. La poussée de Poutine demeure continue, une poussée que les seules sanctions économiques, au demeurant incomplètes, et quelques livraisons d’armes ne parviennent pas à stopper.

Dans ces conditions, et alors qu’un sommet exceptionnel de l’OTAN doit se tenir cette semaine en présence de Biden, il est impératif pour les Occidentaux de se résoudre à se doter enfin d’une stratégie digne de ce nom : bloquer Poutine en lui déniant le contrôle de l’escalade.

 

1- Poutine contrôle lescalade depuis le début de la crise.

Cest dabord lultimatum du 15 décembre 2021,quatre mois jour pour jour après la débandade américaine à Kaboul. Poutine  exige la neutralisation immédiate de lUkraine, larrêt de lextension de lOTAN vers l’Est , et le retrait des forces occidentales déployées aux frontières de la Russie. En réponse, Washington et ses alliés signalent quils étaient ouverts une négociation sur la limitation des armements. Mais sur la question cruciale du statut de lUkraine et de lextension de lOTAN , ils ont choisi la pire des positions possibles : ni négociation, ni garantie de sécurité élargie à l’Ukraine.

Ce premier recul, consacré lors de la conférence de sécurité de Munich les 22 et 23 février 2022, en présence des plus hautes autorités américaines ( la Vice-presidente Kamala Harris était sur place), et de lOTAN, a convaincu Poutine quil pourrait obtenir par la force ce quil n’obtiendrait pas par la négociation, sans risque de voir les Alliés  venir à la rescousse de lUkraine.

Le lendemain même, 24 février, l’invasion a commencé…

 

2- Le contrôle de l’escalade s’est poursuivi ensuite dans le déroulement de la guerre.

Chacun sait désormais que l’offensive éclair prévue initialement a échoué : Kiev n’a pas pu être prise rapidement, le peuple ukrainien et son armée ont résisté ,et  le président Zelenski est toujours en place,gagnant même la guerre de communication contre Moscou.

Poutine s’est donc résolu à une guerre longue,  et dès le 27 fevrier, trois jours après le début de son invasion, il a agité pour la première fois la menace dune escalade nucléaire pour s’assurer que les occidentaux n’interviendraient pas. Ses menaces ont été répétées à plusieurs reprises depuis, causant même une forte vague d’inquiétude à l’Ouest et la ruée sur les pilules d’iode en Pologne et ailleurs…

Cest donc une guerre de terreur comparable au Blitz de Hitler contre Londres , qui a été entamée depuis une quinzaine de jours contre de très nombreuses localités ukrainiennes. Les infrastructures et la population sont directement visées : le but étant de briser la volonté de résistance des ukrainiens et amener ainsi  leffondrement du pays. Cette stratégie, menée au moyen de lartillerie ,des missiles et de laviation, se déroule sans interférence de la part des occidentaux, malgré les appels à l’aide des Ukrainiens. La demande pressante et répétée d’une zone d’exclusion aérienne au dessus de l’Ukraine ayant été formellement écartée per les Occidentaux.

La guerre à  outrance désormais conduite par Poutine a conduit à lexode  de 3 000 000 de civils ukrainiens et à  plusieurs milliers de victimes dans la population civile.

Peu à peu le nœud coulant est  en train  de se refermer autour des principales agglomérations ukrainiennes, y compris la capitale.

À ce stade Poutine refuse toujours tout cessez le feu, et encore moins une solution négociée. Il attend que le pays seffondre afin dimposer un règlement selon ses conditions à lui : changement de régime à Kiev, neutralisation du pays ,et  probablement aussi annexion de la  partie sud et est de lUkraine, à  commencer par la totalité de la rive nord de la mer Noire et de la mer d’Azov.

Entre temps,  à  Marioupol comme hier en Syrie, Poutine et Lavrov emploient le chantage des corridors humanitaires avec un cynisme absolu, prenant en otages les populations civiles assiégées.


3- Malgré les sanctions, Poutine conserve le contrôle de l’escalade politique et économique.

Face à de telles exactions, poussées par leurs opinions publiques,les Occidentaux ont pris les sanctions financières sans précédent, et des armes ont été livrées aux combattants ukrainiens.

Mais là encore le bilan est mitigé : lisolement politique, apparemment réussi lors du vote de lassemblée générale des Nations unies en raison du nombre des Etats condamnant la Russie, nest que partiel  puisque la moitié de lhumanité avec la Chine et lInde, mais aussi les principaux pays arabes producteurs de pétrole et de gaz, ont choisi de sabstenir .

 Beaucoup de ces sanctions ,y compris symboliques, comme  la fermeture des magasins occidentaux, des restaurants McDonalds, sont mal vécues par la population russe, qui prend cela comme une punition injuste , si  bien qu’à ce stade, le régime de Poutine nest nullement menacé. Une bonne partie de la population,soumise à  une propagande de chaque instant et à des limites drastiques quant à sa liberté d’expression, semble être convaincue que  larmée russe combat  bien contre le » nazisme « en Ukraine.

Plus problématique et le fait que,  si Washington a décidé sans difficulté de mettre sous embargo toute importation de pétrole russe  (car ces importations de comptent guère dans le mix énergétique américain) , les Européens eux, nont pas été  capables de prendre ce type de décision. Si bien que trois semaines après le début de la guerre, les Européens continuent de financer celle-ci à hauteur d’au  moins 800 millions de dollars par jour, pour  paiement de leurs achats dhydrocarbures et de gaz russe . Reunis à Versailles, dans ce qui  devait être une sorte de grand  Conseil de guerre, ou à tout le moins le tournant du grand réveil européen face aux périls de l’heure, les Européens nont pas été capables dinterrompre ce financement. Ni de prendre des décisions fortes. Ainsi,l’Allemagne  aurait pu réouvrir trois centrale nucléaires quelle vient de fermer, la Belgique également qui a fermé tout récemment une centrale nucléaire ,mais ces décisions nont pas été prises pour des raisons de politique intérieure…

Au total , malgré leur ampleur, les sanctions occidentales ne seront donc nullement mortelles pour la Russie, dont les relations économiques et financières sont appelées à se développer avec dautres partenaires, à commencer par la Chine ,la grande bénéficiaire de cette guerre . Mieux, les contre sanctions russes de l’espace à l’agriculture,  menacent d’entraîner des conséquences redoutables pour les pays concernés . Là encore, Poutine a réussi tant bien que mal, à  maintenir le contrôle de lescalade …

 

4- Le contrôle de l’escalade et les livraisons d’armes.

Il en va de même pour les livraisons darmes annoncées dès le début par lunion européenne, puis par les États-Unis.

De telles livraisons posent évidemment problème,l’OTAN  cherchant à éviter d’être entraîné dans le conflit.

 Raison pour laquelle lannonce très prématurée de Borell quant à la livraison davions de combat à lUkraine par l’UE, est restée lettre morte.

 Comme l’a été ,de façon presque ridicule, lidée américaine de demander à la Pologne de livrer sa flotte d’une vingtaine  de Mig 27 vieillissants a l’Ukraine. Ne voulant pas prendre le risque d’ être entraîné dans la guerre , Varsovie a d’abord refusé,puis a cherché ensuite à « mouiller » les Américains, en offrant d’expédier «  gratuitement «  ses avions sur la base principale de lOTAN en Allemagne, Rammstein,à  charge pour les Américains de les acheminer ensuite en Ukraine…en survolant l’Allemagne…Comme il était prévisible, les États-Unis ont refusé cette proposition, qui aurait risqué d’entraîner une confrontation directe avec la Russie.

 Cet épisode peu glorieux illustre le dilemme des Occidentaux : comment aider l’Ukraine  sans être entraîné dans la guerre ?

Dans cette affaire, Poutine n’a pu que conclure que  la dissuasion occidentale se résumait  désormais à une nouvelle doctrine, quon pourrait appeler ironiquement celle de la « patate chaude » : personne ne voulant  prendre le moindre  risque.

 Profitant là encore de ce recul,  les Russes mis leurs menaces à exécution le 13 mars,  en   frappant très brutalement les installations militaires ukrainiennes situées tout près de la frontière polonaise, servant à la formation des volontaires étrangers et au stockage des armes livrées par les Occidentaux.

 

5-  L’escalade à venir: le chimique.

Plus préoccupante encore est  la montée de la pression Russe sur le front des armes biologiques et chimiques.  La campagne de dénonciation, y compris à l’ONU , de prétendues installations ukrainiennes de production darmes darmes nucléaires , biologiques et chimiques , na dautre but que de préparer l’opinion internationale à lemploi darmes chimiques par les forces russes.

 Il faut prendre ce scénario très au sérieux.

 En Syrie , les Russes ont protégé El Assad lorsque celui-ci a utilisé ses armes chimiques en 2012- 2013, à  la Ghouta, puis en leur présence , ont laissé ces mêmes armes être utilisées à nouveau en 2017 par leur allié syrien . À chaque fois, les Russes ont d’abord nié lexistence darmes chimiques,puis  quand cet emploi a été démontré, ils se sont arrangés pour offrir aux Américains une échappatoire sous la forme dun « accord » prévoyant la destruction des armes chimiques syriennes,  ce qui permit , en 2013 à Obama, de ne pas faire respecter sa fameuse » ligne rouge » sur lemploi de ces armes.

Il est malheureusement à  craindre que si larmée russe devait senliser dans un combat de longue durée dans les villes ukrainiennes, la condamnant à subir des pertes lourdes, et à recourir au renfort de nombreux conscrits pour occuper ces villes, lemploi des armes chimiques risquerait de simposer alors comme  la façon den finir au plus vite et dobtenir la reddition des ukrainiens .

Si Poutine ne trouvait ,face à lui à ce moment-là ,qu’une  nouvelle version de la dissuasion de la patate chaude,  alors il faut craindre que ce  scénario ne devienne assez vite une réalité.

En dautres termes nous risquons dans un avenir proche de nous heurter :

-soit à des attaques répétées sur des installations militaires aux frontières de la Pologne et peut-être même en Pologne même , pour interrompre le flot des livraisons darmes occidentales;

-soit , voire en même temps, à une attaque chimique contre les populations civiles dans une ou deux grandes villes ,

-voire même  à un tir “de démonstration” d’une arme nucléaire tactique , afin de dissuader les pays l’ OTAN de venir en aide aux Ukrainiens…


6- Reprendre le contrôle de l’escalade.

Il faut craindre que compte-tenu des faiblesses  des réactions occidentales jusqu’à présent, Poutine ne continue imperturbablement sa conquête et la destruction de lUkraine, y compris en ayant recours aux armes chimiques.

Il ne reculera et choisira une sortie diplomatique que lorsque le risque d’une escalade lui paraîtra réel,mettant en danger la survie même de son régime.

Il faut donc des à présent nous préparer à ce que nous ferions dans cette hypothèse.

Pour  éviter d’être mis devant le fait accompli, la meilleure stratégie serait  de reprendre au plus vite le contrôle de lescalade. Ce qui passe:

- Par larrêt immédiat du financement de la guerre de Poutine , ce qui implique lembargo total immédiat sur les importations d’ hydrocarbures et de gaz ;seul un tel signal montrerait à Poutine une détermination réelle de notre part.

- Le rappel solennel à lONU,  au conseil de sécurité comme à lassemblée générale, du principe de linterdiction absolue  de lemploi des armes chimiques ;

Cela afin de lui indiquer de le franchissement du seuil des armes chimiques ne pourrait pas rester sans réponse;

-en  cas dattaque débordant sur le territoire des États membres de l’ OTAN situés à proximité immédiate de l’Ukraine , l’annonce à l’avance d’une riposte militaire  proportionnée et immédiate .

- Ces  mesures seraient assorties dune offre de cessez-le-feu immédiat ,suivi  d’une négociation concernant le statut de Ukraine : neutralité contre retrait des forces russe et respect des frontières.

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