Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Quand les sanctions percutent les élections

 

Au début de la guerre en Ukraine, on s’en souvient, Bruno Le Maire avait promis de mener « une guerre économique et financière totale à la Russie ». Biden, quant à lui, avait promis des sanctions « d’une ampleur sans précédent ». On allait voir ce qu’on allait voir : l’économie russe serait littéralement mise à genoux, ses finances asséchées et son effort de guerre stoppé net.

Deux ans après, malgré 13 paquets successifs (!) de sanctions, le gel de la moitié des réserves de change de la Russie dans les institutions financières occidentales (300 milliards de dollars), l’exclusion de ses institutions financières du système SWIFT, la Russie, bien que passée en économie de guerre, affiche un taux de croissance prévisionnel (selon le FMI) de 2,6 % en 2024, une dette à 21 % du PIB et un déficit budgétaire de 1,9 %, des chiffres à faire pâlir d’envie le même Le Maire…

Mais le plus cocasse est qu’il arrive que le « sanctionneur » se retrouve lui-même sanctionné, surtout quand il entre en campagne électorale. Ainsi, Joe Biden, qui avait bataillé ferme pour stopper, puis plafonner le prix du brut russe au niveau le plus bas possible (60 dollars le baril), avec toute une série de sanctions dites « secondaires » punissant les pétroliers, les transporteurs maritimes et les compagnies d’assurance qui continueraient d’exploiter ou de livrer du pétrole russe. On sait comment, avec l’aide de l’Iran et d’autres pays du Golfe, l’Inde et la Chine ont remplacé en quelques mois les acheteurs européens. Or, il s’avère que les Ukrainiens, malmenés sur la ligne de front, ont décidé de bombarder avec leurs drones à long rayon d’action, de nombreuses raffineries et autres installations pétrolières russes à l’intérieur du territoire russe. Résultat, le baril atteint désormais 85 dollars, situation intolérable pour Biden, candidat à sa réélection : le gallon ne doit pas dépasser 3,5 dollars pour l'Américain moyen ! Zelensky et ses généraux ont donc été priés d’arrêter de tirer sur les installations russes, cela alors même que Trump a bloqué, au Congrès, les livraisons d’armes. Ambiance…

Même équation quelque peu burlesque en Europe, à l’approche des élections européennes. Pour soutenir l’Ukraine, l’UE avait généreusement ouvert ses frontières aux productions agricoles ukrainiennes à très bas prix et sans contraintes sanitaires, avec zéro droit de douane. Cela, disait-on alors à Bruxelles, afin de les ré-exporter vers le tiers monde affamé. Las, loin de transiter, ces importations explosèrent, mais sont restées en Europe, entraînant une chute brutale des prix et une crise ouverte avec les agriculteurs polonais, roumains, slovaques, mais également belges et surtout Français.

À Paris, Macron se trouva donc coincé entre ses promesses à Zelensky et celles à la FNSEA et à ses agriculteurs en révolte. À minima, l’Europe se devait de suspendre ce dispositif, qui en fait bénéficie d’abord à une poignée d’oligarques et de très grosses sociétés agro-industrielles ukrainiennes. C’était, pour Macron, l’un des enjeux clés du Conseil Européen de la semaine dernière. Hélas, Jupiter ne fut pas suivi. Un « frein d’urgence » (modeste) fut bien adopté pour plafonner certains produits, comme la volaille, le sucre ou les œufs, mais rien sur le blé, préoccupation prioritaire du côté français. Pour consoler Macron et sauver la face, on eut alors l’idée de sanctionner… la Russie, dont l’agriculture avait jusque-là échappé aux sanctionneurs bruxellois, en livrant pour 1,3 milliard d’euros de céréales et d’oléagineux à ses clients européens. Désormais, les droits de douane « prohibitifs » interdiront toute importation de produits russes, sauf en transit. Les amateurs de pâtes seront pénalisés : l’UE importe chaque année 1,9 million de tonnes de blé dur, dont 420 000 tonnes provenaient de Russie (24 %)…

Gageons que les Russes s’en remettront : avec une production de 85 millions de tonnes de céréales et 50 millions à l’export, ils prendront nos parts de marché en Algérie et en Afrique Sub-saharienne, où leur grain est déjà distribué gratuitement dans notre ex-pré carré du Sahel…

 

Pierre Lellouche 

Tribune VA, 24/3/24

 

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