16 Mars 2024
Les poignées de mains amicales, les sourires en témoignent : vendredi, à Berlin, Macron et Scholtz ont voulu montrer à l’Europe entière, et à Poutine en particulier, que le couple franco-allemand s’était rabiboché. Invité pour la circonstance, le nouveau Premier ministre polonais, Donald Tusk, européiste et atlantiste convaincu, peut en témoigner : l’Europe est unie aux côtés de l’Ukraine, et Poutine, même triomphalement réélu ce week-end, n’a qu’à bien se tenir. Voilà pour les images et la com.
Sur le fond, le problème ukrainien est plus complexe que jamais. Sur le champ de bataille, l’armée ukrainienne, épuisée et privée de ses munitions américaines, subit le grignotage sanglant imposé par les Russes sur 1 000 km de front. Et Trump vient de répéter, qu’une fois élu, il ne mettra pas « un cent » dans cette guerre. Alors que faire ?
À Paris, Macron, comme à son habitude, a décidé de parler. Beaucoup. Lors du sommet impromptu de l’Elysée du 26 février, il fait sauter le tabou américain et otanien du « no boots on the ground ». Pas question, avait dit Biden dès le début du conflit d’envoyer des troupes au sol, sauf à risquer « une troisième guerre mondiale ». Cette limite auto-infligée, Macron n’en veut plus : Poutine n’a aucune limite, nous ne devons pas en avoir non plus, sauf à succomber à l’avance à « l’esprit de défaite ».
C’est que la pensée complexe du Président a évolué : lui qui avait cherché à « ne pas humilier » la Russie au début de la guerre, a rejoint depuis son discours de Bratislava il y a un an, la ligne la plus dure des voisins immédiats de la Russie : Baltes ou Polonais.
Le 14 mars devant les Français, il développe : « Cette guerre constitue une menace existentielle pour l’Europe et pour la France… Nous devons être prêts et que nous serons prêts… Si on laisse l’Ukraine perdre cette guerre, alors à coup sûr, la Russie menacera la Moldavie, la Roumanie, la Pologne, nous n’aurons plus de sécurité en Europe. La sécurité des Français se joue là-bas »…
Ceux qui oseraient ne pas partager cette analyse sont, on le sait, au mieux comparés à Daladier, au pire traités de « lâches », voire par son Premier Ministre, « de troupes de Poutine »…
Mais à supposer même que le Président ait raison sur toute la ligne, que la Russie représente vraiment une « menace existentielle » pour nous, que faisons-nous concrètement pour nous y préparer ? Le Président, chef des Armées, a-t-il ordonné, sinon la mobilisation, du moins le retour à la conscription ? A-t-il ordonné, comme Poutine en Russie, le passage à l’économie de guerre ? A-t-il augmenté fortement le budget de la défense (la Russie est à 7 % de son PIB aujourd'hui) ? A-t-il le soutien de son opinion publique ou de ses alliés pour une telle politique de réarmement, et un éventuel engagement sur le terrain ? À toutes ces questions, la réponse est non.
Ni conscription, ni augmentation du budget de la défense. Le Président renvoie à ses deux Lois de Programmation militaire, qui, certes, ont stoppé l’hémorragie des trois décennies antérieures, mais n’ont nullement augmenté le volume de nos forces conventionnelles, incapables aujourd’hui de mener une guerre de haute intensité en Europe au-delà de quelques jours : elles n’ont pas été conçues pour cela. La dernière Loi de Programmation prévoit même une baisse des dotations de blindés, d’avions et de navires… Quant aux trois milliards promis à l’Ukraine, ils n’ont été ni votés, ni budgetés.
Du coup, Macron renvoie à l’idée d’une sorte de grand emprunt européen semblable à celui de la pandémie du COVID, sauf que l’Allemagne, qui a prévu un budget militaire supplémentaire de 100 milliards d’euros et de passer effectivement à 2 % de son PIB pour sa défense (soit 72 milliards d’euros annuels très au-dessus du budget de défense français), n'a aucune intention de souscrire un emprunt de ce genre. Pas plus qu’elle n’a l’intention de s’engager plus avant en Ukraine : d’ores et déjà, Berlin est de très loin la première source de livraisons d’armes à l’Ukraine, mais surtout Scholtz refuse toujours de livrer des missiles de croisière à longue portée, le fameux Taurus, soutenu sur ce point par 60 % des Allemands...
Non, seulement sur le fond, rien n’est résolu, donc, ni avec nos alliés, (même si les initiatives de Macron sont bien reçues en Pologne dans les États Baltes), ni dans les moyens effectivement disponibles. Jamais n’aura-t-on vu un décalage aussi flagrant entre les intentions proclamées et les actes effectivement pris. Comme le dit le Premier ministre polonais : « la vraie solidarité avec l’Ukraine ? Moins de mots, plus de munitions ».