9 Janvier 2022
C’est la semaine de tous les dangers. La semaine où expire l’ultimatum décrété par Poutine le mois dernier à Biden et à l’OTAN.
Soit la Russie obtient les « garanties de sécurité » qu’elle exige, à commencer par l’abandon définitif de toute idée d’adhésion à l’OTAN de l’Ukraine et des autres pays de son « étranger proche » (Géorgie, Biélorussie, Moldavie, Arménie), et l’arrêt de toute activité militaire des occidentaux à proximité de ses frontières, et dans ce cas Poutine retira probablement les 100 000 hommes déployés depuis des semaines le long de la frontière ukrainienne, soit…
Surpris par la soudaine escalade russe le mois dernier, Biden a dû concéder l’ouverture de négociations diplomatiques americano-russes les dimanche et lundi 9 et 10 janvier à Genève. Suivies, le mercredi 12, par la convocation du conseil OTAN-Russie, moribond depuis l’annexion russe de la Crimée en 2014, puis le lendemain, jeudi, par une réunion de l’OSCE, manière d’associer, mais après coup, les Européens…
A mesure que l’on s’approche de cette semaine fatidique pour l’avenir de la sécurité en Europe, un certain affolement s’est emparé des chancelleries occidentales : se soumettre à l’ultimatum est politiquement impensable pour Washington, comme pour les alliés. Aller mourir pour Kiev l’est tout autant et, cela, Poutine le sait parfaitement…
Or personne ne sait si Poutine attaquera ou non.
Les plus optimistes constatent que le Président russe a déjà remporté l’essentiel de son pari. Écartée jusqu’ici de la nouvelle équation bipolaire entre les États-Unis et la Chine, considérée depuis Obama comme une « simple puissance régionale », à peine « calculée » par Biden, tout entier obsédé par la Chine, voici que la Russie s’impose à nouveau au centre du jeu européen et mondial, comme au bon vieux temps de la Guerre froide. Avec en prime, une Russie de retour au Proche Orient et même en Afrique, grâce à ses mercenaires Wagner.
Cette démonstration de force étant faite, et dûment récompensée par un grand exercice diplomatique à Genève, Bruxelles et Vienne, Poutine, pense-t-on pourrait s’arrêter là…D’autant que le dirigeant russe sait parfaitement que ses revendications sont inacceptables par les occidentaux : le droit inaliénable de chaque État européen de choisir ses alliances n’a-t-il pas été reconnu comme un principe fondamental dans le traité de Paris II qui venait consacrer la guerre la fin de la Guerre froide ? Quant à l’Ukraine, n’avait-t-elle pas accepté d’abandonner ses armes nucléaires en échange de la garantie de sécurité offerte par les Grands, y compris la Russie ?
Sauf que vu de Moscou, le moment est venu, 30 ans après la fin de la Guerre froide, d’en finir avec l’OTAN et ses élargissements successifs vers l’Est. Poutine considère que la Russie a déjà beaucoup donné, et que l’Occident a trop longtemps abusé de sa faiblesse. En 1990 – c’est la thèse de Moscou, démentie par les Américains – Jim Baker avait obtenu de Gorbatchev la réunification de l’Allemagne dans l’OTAN, en échange de la promesse que l’Alliance Atlantique s’arrêterait là, et qu’elle ne chercherait pas à agréger les autres États issus de l’ex URSS, comme les Baltes, ou les Européens de l’Est anciennement membres du Pacte de Varsovie.
Or c’est tout l’inverse qui s’est produit. Début 2008 à Bucarest, le sommet de l’OTAN était à deux doigts d’annoncer l’entrée de l’Ukraine et de la Géorgie. Poutine s’en souvient fort bien puisque quelques mois plus tard, à l’été, 2008 profitant d’une erreur de calcul du président géorgien d’alors, Michael Saakachvili, les troupes russes étaient entrées en Géorgie. Il avait fallu l’intervention à la dernière minute de Nicolas Sarkozy qui, comme Macron aujourd’hui, était le président en exercice de l’Union, pour stopper les armées russes à quelques dizaines de kilomètres de la capitale, Tbilissi.
Et puis, six ans plus tard,il y eut Maïdan, vécu à Moscou comme « un coup d’état » fomenté depuis Washington, visant à renverser un président légitimement élu, Viktor Ianoukovytch pour le remplacer par un régime nationaliste antirusse. Ce qui entraîna, là encore, l’entrée de l’armée russe en Crimée puis son annexion, et l’instauration de « Républiques » séparatistes pro-russes à l’est de l’Ukraine (Doniestk et Lubantsk).
L’étape suivante, c’est maintenant : Poutine, qui n’a jamais accepté la désintégration de l’URSS et de son empire, pense que le moment est venu d’en finir définitivement avec ce qu’il considère être le glissement inéluctable de l’Ukraine vers l’OTAN et accessoirement l’UE. Il s’agit de profiter de l’affaiblissement de Biden à l’extérieur, après le retrait piteux d’Afghanistan, comme du désordre considérable aux États-Unis mêmes, après la calamiteuse insurrection trumpiste contre le Capitole, il y a tout juste un an le 6 janvier 2021. Voilà pourquoi Poutine joue « tapis » : déployant une armée de 100 000 hommes encerclant l’ Ukraine, et en livrant, en même temps, aux Américains deux projets de traités, que ces derniers sont priés de signer sans retard, ni « parlottes et verbiage ». Et ce ,au-dessus de la tête des Européens, bien-sûr…
Toute cette semaine les diplomates occidentaux vont tenter de désamorcer la crise sans céder sur les principes. De gagner du temps. Macron de son côté, essaiera de faire peser le poids (mais lequel ?) de l’Union européenne qu’il préside depuis une semaine, dans ce jeu diplomatique qui se joue sans nous…. Sans grand espoir de convaincre Poutine : c’est avec Biden et avec Biden seul, que le Tsar entend signer une sorte de nouveau Yalta, et ainsi obtenir la « finlandisation » de ses voisins occidentaux, le tout par-dessus la tête des Européens.
Alors, bluff ou guerre ?
Si les « optimistes « veulent croire que Poutine a déjà obtenu le bénéfice politique de sa démonstration de force, d’autres plus pessimistes – où lucides ? – pensent que Poutine ira jusqu’au bout, et qu’il lui serait de toutes façons difficile, après avoir déployé une armée de 100 000 hommes depuis des semaines, de ramener tout son petit monde à la maison, sans perdre la face…
D’autant plus que les Américains ont déjà indiqué que, même en cas d’invasion de l’Ukraine, personne chez eux, n’irait mourir pour Kiev. La riposte occidentale est déjà annoncée : elle sera « massive », menace-t-on, mais… se contentera d’être exclusivement économique ou financière. On interdirait notamment à la Russie d’utiliser le système de règlements financiers Swift, pour ses échanges internationaux.
L’ennui c’est que les sanctions économiques à l’égard de la Russie se sont empilées au fil de que la dernière décennie, sans pour l’instant donner le moindre résultat. Bien au contraire ! La dépendance européenne à l’égard de la Russie n’a cessé de s’aggraver, notamment en matière de livraisons de gaz…malgré la Crimée … Grâce aux Verts allemands, désormais au pouvoir, Berlin ferme, les unes après les autres les centaines nucléaires, tout en ouvrant 43 centrales au charbon, et bien-sûr, en important toujours plus de gaz russe, y compris pour pallier l’intermittence des éoliennes. Raison pour laquelle le projet de gazoduc Nord Sream II, actuellement bloqué pour des raisons « administratives », démarrera sans doute à plein régime dans les mois qui viennent, Ukraine ou pas…
Moralité : il faudra qu’un jour, l’Europe cesse de se payer de mots : la « souveraineté stratégique » ne se conjugue pas avec faiblesse militaire et incohérence dans les politiques énergétiques de ses États membres…