28 Février 2022
21 février 2022 : Vladimir Poutine reconnaît officiellement les deux républiques séparatistes du Donbass : Donetsk et Lubansk.
24 février 2022 : Vladimir Poutine lance l’invasion de l’Ukraine.
27 février 2022 : Vladimir Poutine ordonne la mise en alerte des forces nucléaires de la Russie.
En en moins d’une semaine, les Européens stupéfaits et soudainement inquiets, découvrent que la guerre est de retour sur leur continent. Que pour la première fois depuis 1945,un pays entier peut être envahi, des immeubles d’habitation bombardés , des centaines de milliers de réfugiés jetés sur les routes de l’exil. Pendant ces quelques jours, chacun comprend soudain que l’histoire de l’Europe et l’histoire du monde vient de basculer dans l’inconnu, et peut-être dans un embrasement général.
Jusqu’à la dernière minute pourtant,les dirigeants occidentaux, les opinions publiques, avaient refusé d’ y croire: malgré les curieuses prophéties auto réalisatrices martelées par Biden, Poutine n’oserait pas pensait-on , ou alors il se contenterait d’un bout de territoire dans le Dombass, comme il l’avait fait pour la Crimée, annexée huit ans plus tôt en 2014.
Pour eux, la Guerre froide était morte et enterrée depuis 30 ans ! Mais pas pour Poutine ,qui a toujours considéré que le démembrement de l’empire soviétique avait été « la pire catastrophe géopolitique du XXe siècle ».
L’histoire avait pourtant bien commencé.
Au soir du 8 décembre 1991,dans une datcha au cœur d’une forêt biélorusse, Boris Eltsine ,président de la fédération de Russie, son homologue ukrainien Leonide Kravchouk et le biélorusse Stanislaw Choukievitch, profitant de l’affaiblissement de Gorbatchev à Moscou, avaient tout simplement signé l’acte de naissance des trois républiques indépendantes: l’URSS était morte sans que le moindre coup de feu soit tiré. Vivent la Russie, l’Ukraine et la Biélorussie !
Longtemps, américains et européens avaient cru que ,pour une fois, un empire pouvaitdisparaître pacifiquement, presque sans bruit. Sur les ruines de l’URSS, une Allemagne réunifiée avait pu se reconstruire, l’Union européenne s’élargir à une dizaine de nouveaux membres ,installant à l’Est prospérité et démocratie. Et bien entendu, l’OTAN également ,s’était mécaniquement déployé vers l’Est, englobant à partir de 1999 la totalité des anciens membres du Pacte de Varsovie et même plusieurs anciennes républiques soviétiques, telles les trois États baltes (entrés en 2004),un processus qui se poursuit toujours dans les Balkans (la dernière adhésion, celle de la Macédoine du Nord remonte à 2020)…
Avec un PIB à la hauteur de celui de l’Espagne, une économie de pays sous-développé vivant de la vente de ses hydrocarbures, un régime autocratique largement corrompu ,composé d’ex KGB et d’ oligarques richissimes gravitant autour du pouvoir, la Russie de Poutine, n’était au mieux pour Obama, qu’une « puissance régionale » . D’autant que pendant toutes ces années ,l’Amérique avait la tête ailleurs : au 11 septembre, à « la guerre contre le terrorisme » en Afghanistan ou en Irak ,puis à La Chine bien sûr , son seul vrai rival au XXIe siècle.
Sauf que Poutine, lui ,n’a jamais accepté ce statut de seconde zone. Pas plus qu’il n’aaccepté les interventions occidentales unilatérales dans l’ex-Yougoslavie ou en Libye ,et encore moins l’arrivée de l’OTAN à ses frontières.
Il y a 30 ans,la frontière occidentale de l’URSS se situait à 1200 km de Saint-Pétersbourg, contre à peine 100 km aujourd’hui . Et pour faire bonne mesure des missiles américains sont déployés en Pologne et en Roumanie ! Pour Poutine, tout cela est le résultat de la faiblesse passée de la Russie et des mensonges à répétition des occidentaux : « ils ont pris des décisions dans notre dos. Cela s’est produit avec l’expansion de l’OTAN vers l’Est, ainsi qu’avec le déploiement d’infrastructures militaires à nos frontières » disait-il en mars 2014 ans justifiant l’annexion de la Crimée.
À de multiples reprises, les dirigeants russes ont répété que James Baker,le secrétaire d’État américain de l’époque, tout comme Hans Dietrich Genscher ,son homologueallemand ,s’étaient engagés auprès de Gorbatchev en janvier 1990, à ne jamais élargir l’OTAN vers l’Est, « pas d’un seul pouce », cela en échange de la réunification de l’Allemagne dans l’OTAN .
En 2008 pourtant, lors du sommet de Bucarest,George W Bush voulut conforter les » révolutions de couleur » en Ukraine et en Géorgie en intégrant ces deux pays à l’OTAN sans tarder . Devant l’opposition de Nicolas Sarkozy et de Angela Merkel ,qui y voyaient justement un casus belli pour la Russie, le pire des compromis fut trouvé : l’Ukraine et la Géorgie ne rentreraient pas tout de suite, mais l’Alliance reconnaissait leur vocation à rejoindre l’alliance.Une clause que les Ukrainiens s’empressèrent d’inscrire dans leur constitution…
Quatre mois plus tard , l’armée de Poutine envahit la Géorgie et ne s’arrêta à 40 km de Tbilisi, la capitale ,qu’après l’intervention in extremis du President Sarkozy .
Vinrent ensuite la révolution de Maïdan en 2014,le renversement du Président pro-russe Yanoukovitch ,avec en réplique immédiate la sécession du Donbass et l’annexion de la Crimée…
La dernière mi-temps de cette guerre commencée il y a huit ans, causant la mort de 15 000 personnes, commença le 15 décembre dernier où , à la surprise générale, Poutine présenta aux Américains et à l’OTAN un double ultimatum : un engagement écrit au renoncement définitif à tout élargissement ultérieur de l’OTAN -en clair la neutralisation de l’Ukraine - et d’autre part ,le retrait des forces militaires déployées aux frontières de la Russie.Pour Poutine, le retrait piteux des Américains d’Afghanistan, les faiblesses de l’Administration Biden ,l’inexistence de l’Europe corrompue à ses yeux ,par l’immigration de masse et le wokisme, tout cela allait lui permettre de reconstituer en un seul coup de maître ,le glacis de l’Empire.Et pour appuyer son ultimatum, Poutine encercla littéralement l’Ukraine avec 200 000 de ses soldats…
Biden ignora la première demande, au nom du « principe de la porte ouverte « de l’OTAN, mais se déclara ouvert à des négociations éventuelles sur les armements. Il assortit le tout à des menaces de sanctions « massives » en cas d’agression contre l’Ukraine, tout en déclarant à l’avance que les États Unis n’interviendraient pas militairement, allant jusqu’à fermer son ambassade à Kiev.Ni solution diplomatique donc, comme un éventuel moratoire sur l’élargissement,ni dissuasion militaire : l’invasion annoncée maintes fois par la Maison Blanche se produisit le 24 février, deux mois et demi après le début de l’épreuve de forces.
Ainsi commencent les guerres : sur le terreau de l’humiliation et du mépris , de l’indifférence aux intérêts de sécurité du voisin, renaîssent le revanchisme et le chaos des armes lorsque celles ci tombent aux mains de pouvoirs absolutistes.1938 et les Sudètes ,bis repetita…
Clausewitz parle du brouillard de la guerre : une fois commencée,la guerre ne se déroule jamais selon selon les plans établis . Celle de Poutine restera dans l’histoire comme la parfaite illustration.
Poutine avait en tête une « opération militaro- technique » ,une action rapide, sans trop de dommages, pour décapiter le pouvoir à Kiev et le remplacer par une équipe favorable à Moscou, à coup sûr déjà prête sur place. Sur le modèle de la Crimée, en quelque sorte. Pour cela, Poutine n’engagea dans la phase initiale de son opération que 30 % de ses forces déployées autour de l’Ukraine.
Mais rien ne s’est passé comme prévu.
Sans doute victime de son propre isolement au Kremlin, où il gouverne totalement seul,Poutine a commis au moins quatre erreurs de calcul majeures :
–d’abord sur l’état d’esprit du peuple ukrainien. Poutine croyait dur comme fer à une fraternisation immédiate entre ses soldats et les habitants d’un pays, d’une province plutôt, qu’il considère comme faisant ,depuis toujours, partie intégrante de la Russie. Or huit années de guerre et 15000 morts ont fabriqué une vraie nation,décidée à se battre . Loin de fraterniser,les ukrainiens ont pris les armes et ont décidé de tuer des russes. Cette fois ,la rupture est consommée entre les deux peuples, condamnant Poutine à un retrait impossible, ou à une invasion complète d’un pays de 40 millions d’habitants plus vaste que la France, suivie d’une occupation longue et coûteuse.
–Ensuite sur les capacités de l’armée ukrainienne, aguerrie par le conflit dans le Dombass, et qui a bénéficié ces dernières années de la formation et d’un certain nombre d’armes modernes livrées par les occidentaux.
–troisième erreur : sur le président ukrainien lui-même. Poutine n’avait que mépris pour ce pitre « drogué », installé par hasard dans le palais présidentiel de Kiev . Or voici que Volodimir Zelinsky s’impose en quelques heures en chef de guerre, et surtout en un formidable maître en communication face à Poutine et à son armée ,se forgeant l’image d’un capitaine courageux dans le monde entier.
–La dernière erreur est sans doute la plus grave. Poutine tout à son mépris des dirigeants occidentaux,mous et lâches à ses yeux, s’est magistralement trompé sur l’attitude qu’ils finiraient par prendre sous la pression de leurs propres opinions publiques , elles mêmes choquées par les images en temps réel de l’invasion et de ses ravages. Ici, Poutine n’a pas vu que l’avènement du téléphone portable a fait de chaque citoyen ukrainien un reporter de guerre , et que chacun à l’Ouest s’identifierait instantanément avec les victimes de l’invasion russe .Ce sont ces images ,relayées sur les réseaux sociaux et reprises en continu par les médias ,qui ont fait descendre dans la rue des centaines de milliers de manifestants en Allemagne notamment,en soutien de l’Ukraine et ainsi littéralement contraint les gouvernements occidentaux à virer de bord complètement sur la question des sanctions économiques .
Prévues pour être modérées au départ , celles ci se sont transformé en un arsenal redoutable avec le gel effectif d’une bonne moitié des réserves de change de la banque centrale russe (au moins 300 milliards de dollars),avec aussi l’arrêt du système Swift pour l’essentiel des banques russes, aboutissant à bloquer l’essentiel des transactions commerciales de la Russie ( sauf les livraisons de gaz et de pétrole à l’Europe toujours maintenues). En quelques heures à peine,la pression sur le système bancaire russe a été telle que le rouble a déjà perdu la moitié de sa valeur et que les conséquences vont être redoutables dans la vie quotidienne des citoyens russes( augmentation des prix,arrêt de la production dans de nombreux secteurs etc).
L’autre changement majeur induit par ces images c’est bien entendu la décision soudaine des gouvernements européens ,les uns après les autres, y compris l’Allemagne(!), d’ autoriser la livraison d’armes défensives à l’Ukraine. Dans le cas de l’Allemagne, cette décision sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale ,est assortie d’un très important plan de réarmement de la Bundeswehr à hauteur de cent milliards d’euros, avec la promesse de futurs budgets de défense au-dessus de 2 % du PIB , là encore sans précédent. Un monde a basculé : l’Europe ,hier » post nationale » et « puissance civile » ,redécouvre la nécessité absolue de réarmer et d’être capable de se défendre. Poutine vient à non seulement de sauver l’OTAN de sa « mort cérébrale » annoncée, il vient aussi de donner enfin une chance à l’Europe de la defense à direction franco-allemande, dont avait rêvé De Gaulle il y a 60 ans , avec son Plan Fouchet.Dans l’euphorie de ce réveil européen, la Commission européenne,pourtant incompétente en matière de défense, promet de livrer des armes et même des avions de chasse. Elle s’engage même à accepterl’Ukraine au sein de l’Union, et donc de la faire bénéficier de la » clause de défense mutuelle » prévue dans le Traité de l’Union - garantie qui s’exerce grâce aux moyens de l’OTAN…
Cette réaction soudaine aussi bien des ukrainiens que des Européens, a complètement changé la donne de l’opération militaire, amenant Poutine à menacer les occidentaux d’une éventuelle escalade nucléaire ,et sur le terrain, à « élargir » , c’est à dire à durcir son offensive.
À sa grande surprise, Poutine est devenu, en quelques jours à peine, le paria de la communauté internationale dans son ensemble : privé de ses réserves financières, dénoncé par tous, mis au banc même des grandes compétitions sportives ,et surtout de du football, coupe du monde au Qatar comprise,un sport qu’il affectionne particulièrement.
Désormais ,Poutine s’est trop avancé pour reculer. Se retirer d’Ukraine sans rien obtenir compromettrait son propre pouvoir et sa survie à lui. S’enliser dans une guerre longue serait tout aussi dangereux.
La guerre risque va donc se durcir dans les jours à venir, entraînant de très importants dommages matériels et surtout humains, à mesure que les villes ukrainienne les plus importantes seront encerclées, avant d’être étouffées, puis occupées par l’armée russe. Cela,en attendant que le rapport des forces sur le terrain s’éclaircisse ,fournissant la base d’une sortie de crise diplomatique ,qui ne pourra pas ne pas inclure la définition d’un nouveau statut pour l’Ukraine -au mieux, la » Finlandisation « refusée jusqu’ici par Washington.
Tout ça pour ça ,donc…
Avec l’espoir que dans l’intervalle ,nul ne commette de part ou d’autre ,de nouvelles erreurs de calcul…notamment lorsqu’il s’agira , pour les pays de l’OTAN,de livrer des armes à l’Ukraine au beau milieu du conflit,et donc de se poser,en dépit de leur plein gré ,en co- belligerents…