13 Février 2022
Jusqu’en décembre 2021, la Russie avait répliqué aux élargissements successifs de l’OTAN conduits depuis la fin de la Guerre froide, par la stratégie dite des « conflits gelés » : Ossetie du Nord et Abkhazie en Géorgie ,prétextes utiles pour l’arrivée des forces russes à 40 km de la capitale Tbilissi en 2008(des forces retirées ensuite, en grande partie grâce à l’initiative de Nicolas Sarkozy) ; Transnistrie, aux frontières de la Moldavie, et ce afin d’ éviter toute velléité de rapprochement de ce pays en direction de l’OTAN ou de l’union européenne ; et bien sûr, Donbass en 2014 après les événements de Maidan et le renversement du président pro-russe Yanukovych à Kiev, cela avant l’invasion, puis l’annexion de la Crimée en 2015.
En décembre 2021, jugeant que le moment lui était favorable, après le retrait piteux des Américains d’ Afghanistan, les problèmes internes de l’administration Biden, et la dépendance massive des Européens à l’égard du gaz russe,Poutine pose brutalement aux occidentaux un ultimatum : ou bien ceux ci s’engagent par écrit ,et très rapidement, à stopper tout élargissement futur de l’OTAN en Europe orientale et dans le Caucase , en arrêtant de surcroît toute activité militaire aux frontières de la Russie, ou bien…
Ou bien, c’est le véritable encerclement de l’Ukraine par 150 000 soldats russes et la perspective désormais jugée imminente par les Américains eux-mêmes, d’une invasion de l’Ukraine.
L’épreuve de forces dure depuis trois mois, et elle est sans précédent depuis la crise de Berlin où celle de Cuba en 1962…
Malgré les tentatives méritoires d’ Emmanuel Macron, malgré les multiples contacts diplomatiques avec Moscou, la sortie de crise diplomatique semble aujourd’hui hors de portée. Poutine entend stopper immédiatement l’élargissement de l’OTAN à ses frontières ; en face Biden et ses alliés, Royaume-Uni en tête, et européens de l’Est surtout, insistent sur le principe de libre choix de chaque État de choisir ses alliances, et notamment celui de l’Ukraine de rejoindre l’OTAN…
Glacis sécuritaire d’un côté, « porte ouverte » de l’autre : la négociation semble être définitivement bloquée. Une seule perspective : la guerre.
Mais une guerre que les Ukrainiens devront livrer seuls …Les États Unis ont demandé à leurs ressortissants de quitter le pays sous 48 heures, le Conseiller pour la sécurité nationale, Jake Sullivan précisant même qu’aucun soldat américain ne viendrait les chercher. Idem pour tous les autres alliés.Personne n’ira mourir pour Kiev ,encore moins au nom des grands principes…Quant aux sanctions économiques dites « massives », elles peinent à convaincre, y compris en Allemagne, où l’on ne peut plus faire sans le gaz russe, ni même sans le gazoduc Nord Stream II, qu’Olaf Sholtz s’est bien gardé de nommer lors de son déplacement récent à Washington…
Risquée du côté russe, la guerre n’est donc pas une option du côté occidental, sauf à contempler la destruction d’un pays, les millions de réfugiés, et la nouvelle glaciation du Continent qui en découlera.
Pourtant, une sortie de crise diplomatique existe bel et bien, qui pourrait s’articuler autour des quatre éléments suivants :
–un moratoire sur l’élargissement de l’alliance ,pour une période suffisamment longue–20 années–afin de prendre en compte des intérêts de sécurité de la Russie, mais tout en conservant le principe de la « porte ouverte ».
Soit dit en passant ,c’est la position que sans le dire, Français mais également Allemands, avaient adoptée en 2008 ,lors du sommet de l’OTAN à Bucarest : Paris et Berlin réussirent alors à s’opposer à l’adhésion de l’Ukraine et de la Georgie à l’OTAN qu’Obama poussait à l’époque, en échange d’une sorte de perspective laissée ouverte à long terme…
–Simultanément, il conviendra d’organiser le retrait des troupes Russes et occidentales sur la profondeur, doublé de l’interdiction du déploiement d’armes nucléaires de portée intermédiaire sur le sol européen, et ce dans le cadre de nouveaux accords de limitation des armements, dans la suite du traité sur les armements conventionnels en Europe (MBFR) et du traité sur les forces nucléaires intermédiaire (FN I).
–En troisième lieu la question des territoires concernés par les conflits gelés, serait gérée par le principe d’élections sous contrôle international, avec un seuil de majorité qualifiée nécessaire pour l’éventuel changement de statut de ces territoires.
–Enfin l’ensemble des relations Europe- Russie serait à l’ordre du jour d’une modernisation des accords d’Helsinki de 1975 et des accords de Paris de 1994, afin de remettre à plat l’ensemble des relations politiques, économiques et sociétales (y compris la question des droits de l’homme).
Trente ans après la dissolution de l’URSS et du pacte de Varsovie, le temps est venu d’imaginer l’avenir du continent européen au-delà des systèmes de blocs militaires qui ont régi le statut de l’Europe pendant un demi-siècle de Guerre froide.
En tout état de cause,le principe de la « porte ouverte » de l’OTAN ne mérite pas d’être payé au prix de la destruction de l’Ukraine et d’une nouvelle congélation de l’ordre européen pour les décennies à venir.