Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Ukraine : prophétie auto-réalisatrice

Guerre ou Paix ?

Le sort de l’Ukraine et de l’Europe se joue ces jours-ci autour des deux questions suivantes posées par la Russie, non pas à l’Europe, mais aux États-Unis, depuis le mois de décembre dernier :

  • Washington doit-il échanger la paix et la garantie des frontières de l’Ukraine contre la neutralisation de ce pays, comme l’exigent les Russes ? et :
  • L’Amérique doit-elle procéder au retrait de ses bases de missiles déployés aux frontières de la Russie, notamment en Pologne et en Roumanie ?

L’épreuve de forces oppose depuis trois mois, dans ce qui est la crise la plus grave depuis celle de Cuba en 1962, une puissance autocratique, revancharde et victimaire, la Russie de Poutine – désormais soutenue par la Chine, elle aussi revancharde et autoritaire –, à une Amérique qui, depuis Trump et la retraite piteuse de Kaboul, est aux prises avec le doute et la haine de soi à l’intérieur, la déception et le ressentiment à l’extérieur.

La première a décidé d’en finir avec l’ordre géostratégique qui lui a été imposé, dit-elle, il y a 30 ans, alors que l’URSS venait de s’effondrer. Elle réclame depuis longtemps un nouvel ordre de sécurité en Europe, mais cette fois, elle a décidé de l’imposer en encerclant littéralement l’Ukraine avec 150 000 de ses soldats. Un véritable siège moyenâgeux en quelque sorte, mais avec les armes et la technologie du XXIe siècle…

La seconde crie au loup et, comme dans une prophétie auto-réalisatrice, annonce semaine après semaine une guerre imminente… tout en annonçant par avance qu’elle n’y prendra aucune part. L’Amérique veut bien parler désarmement, mais élude soigneusement la question principale, celle de l’élargissement de l’OTAN, au nom du principe de la « porte ouverte » : chaque État a le droit d’adhérer à l’alliance de son choix.

En clair, l’Ukraine risque donc d’être détruite au nom d’un principe jugé comme non négociable, mais parfaitement impraticable.

Car l’affaire ne se résume pas à la notion théorique du droit d’adhérer, même inscrit dans la constitution ukrainienne.

L’OTAN est une organisation militaire, ce n’est ni une ONG, ni un club de bridge. Ici, deux critères s’imposent : l’adhésion de l’Ukraine contribuerait-elle à la stabilité du continent ? L’adhésion de l’Ukraine entraînerait-elle un risque d’escalade précoce aux armes nucléaires ?

En vérité, tout le monde connaît depuis longtemps les réponses à ces questions. Raison pour laquelle Nicolas Sarkozy et Angela Merkel avaient obtenu en 2008 à Bucarest, contre l’avis d’Obama, que l’adhésion de l’Ukraine (et celle de la Géorgie) soit repoussée aux calendes. Mais le compromis bancal trouvé alors ne devait rien résoudre, au contraire : l’Ukraine et la Géorgie restant toujours candidats à l’adhésion, tandis que la Russie restait convaincue de la duplicité des Occidentaux.

Aujourd’hui, alors même que l’Ukraine est directement menacée, Biden ordonne le déménagement de son ambassade de Kiev et le départ immédiat de tous les ressortissants américains, conseillers militaires compris. Que vaut alors le « droit » de l’Ukraine d’adhérer à une alliance qui n’a pourtant pas la moindre intention de la défendre, alors même qu’elle va être attaquée ?

Un moratoire sur l’élargissement, couplé à une négociation d’ensemble sur les armements conventionnels et nucléaires en Europe ne serait-il pas une sortie diplomatique préférable à la guerre ?

Malgré leurs efforts méritoires, les tentatives de médiation d’Emmanuel Macron et d’Olaf Scholz restent vaines. Poutine n’attend de réponse que du patron, c’est-à-dire de Washington. Or Biden campe sur une ligne dure, qui a l’avantage d’afficher une virilité retrouvée après le fiasco afghan, tout en réunissant la quasi-totalité du Congrès, Démocrates et Républicains, pour une fois soudés dans une sorte d’Union sacrée contre la Russie. Dans ces conditions, un éventuel sommet de la dernière chance Biden-Poutine, arraché ce dimanche par Macron, s’annonce peu prometteur.

En attendant, en Europe, les bons élèves de la classe atlantique : Britanniques, Polonais et Baltes en tête se sont docilement rangés en ordre de marche, tout comme Bruxelles. Paris et Berlin n’auraient d’autre choix que de se montrer solidaires…

Mais solidaires de quoi au juste ?

Car les principales victimes de cette non-négociation, qui se passe au-dessus de leurs têtes, sont bien sûr les Européens, qui paieront sur leur sol les conséquences d’une éventuelle guerre, bien plus que les Américains.

Car si guerre il y a, en voici quelques conséquences prévisibles :

  • des dizaines de milliers de morts en Ukraine ;
  • plusieurs millions de réfugiés vers la Pologne et l’union européenne ;
  • le risque d’une escalade avec l’OTAN et donc de l’extension de la guerre sur tout le continent, voire au-delà ;
  • l’arrêt des livraisons de gaz russe à l’Allemagne et à l’Europe, donc une crise énergétique sans précédent depuis 1973 ;
  • en prime, éventuellement, une attaque chinoise simultanée contre Taïwan.

Sans parler de la recongélation de l’Europe en blocs militaires rivaux, et de la fin du rêve "macronien" d’une Europe enfin souveraine et capable d’assurer sa sécurité.

Hors de l’OTAN donc, point de salut !

Dommage pour l’Ukraine, qui la première, en paiera le prix. Et quel prix !

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