Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Après l'Ukraine, Taiwan ?

 

Dans les jours qui ont suivi l’invasion russe de l’Ukraine, la formule, lourde d’inquiétude, a fait florès dans tous les médias et sur les réseaux sociaux à Taïwan, bien sûr, mais également dans toute la région Indo-Pacifique.

L’ambassadeur de Singapour à l’ONU a qualifié l’agression russe de « crise existentielle pour Singapour ». À Tokyo, l’ancien Premier ministre Shinzō Abe a proposé de déployer dans l’archipel des armes nucléaires qui pourraient être « partagées » avec les États-Unis - une véritable révolution politique pour qui connaît l’aversion profonde du Japon à tout ce qui touche aux armes atomiques depuis Hiroshima.

À Taïwan même, le conseiller pour la sécurité nationale a cherché à rassurer la population (23 millions contre 1,5 milliard de Chinois du continent), en expliquant qu’il était peu probable que les Chinois se lancent dans une action militaire dans les trois années qui restent à courir jusqu’à la fin du mandat de l’actuelle présidente Tsai Ing-wen, sous-entendu, tant que l’île ne déclarera pas son indépendance d’ici là...

Pour rassurer les Taïwanais avec lesquels ils n’ont plus, depuis la reconnaissance de la Chine, le moindre accord de défense, sauf la fameuse « ambiguïté stratégique » issue de la « Taiwan Relations Act », les États-Unis ont dépêché à Taïwan une délégation de parlementaires américains, dans le but là encore de rassurer les Taïwanais quant à une éventuelle protection de l’Administration Biden.

C’est que Taïwan occupe désormais une position stratégique absolument cruciale dans l’économie de la planète, puisque la firme taïwanaise Taiwan Semiconductor Manufacturing Company (TSMC), produit à elle seule 92 % des microprocesseurs les plus sophistiqués (moins de 10 nanomètres), indispensables pour toute l’industrie mondiale, y compris l’industrie d’armement.

De même que Poutine revendique l’Ukraine comme faisant partie intégrante de toute l’histoire de la Russie, Xi Jinping lui a proclamé la « réunification » de l’île avec le continent comme une mission sacrée pour le régime de Pékin.

Toute la question est de savoir si la Chine cherchera à imiter Poutine, ou si, fidèle aux enseignements du grand stratège Sun Tzu, elle se contentera d’attendre, pour obtenir cette réunification sans tirer un seul coup de feu.

Dans l’immédiat, les Taïwanais cherchent à se conforter en observant l’efficacité de la défense territoriale ukrainienne pour s’en inspirer. Les leçons sont multiples : défense territoriale, en mobilisant la population, multiplier les stocks d’armes défensives anti-chars et anti-aériennes, et surtout compter sur les 150 km du détroit de Taïwan, qui forceront Pékin à rassembler une très importante force d’invasion, à la fois aisément identifiable à l’avance, et surtout vulnérable aux missiles anti-navires taïwanais.

La Chine aussi observe avec attention le déroulement de la guerre en Ukraine, y voyant une sorte de répétition générale à une éventuelle opération sur Taïwan.

Malgré « l’amitié éternelle » célébrée quelques jours avant le déclenchement de la guerre par Poutine et Xi, la Chine s’est bien gardée de sortir d’une politique savamment équilibrée, rappelant « qu’un pays ne devrait pas compromettre de façon flagrante la souveraineté d’un autre État », tout en condamnant « le renforcement et même l’expansion des blocs », c’est-à-dire l’élargissement de l’OTAN. Et Xi de glisser à Biden, que « c’est à celui qui a accroché la clochette autour du cou du tigre, qu’il revient de la lui enlever »…

Dans l’immédiat, cette guerre est tout bénéfice pour Pékin : l’Amérique, qui cherchait à se concentrer sur la Chine en Indo-Pacifique, se voit forcée de se mobiliser à nouveau en Europe. Les Chinois n’ont pas manqué de noter à quel point les Américains ont tout fait pour ne pas participer militairement à cette guerre, et ils y voient bien sûr un précédent, s’il devait y avoir un conflit du même ordre à Taïwan. Enfin, la Russie sortira exsangue de cette guerre et sera donc encore plus dépendante de Pékin pour sa survie économique.

Le seul vrai sujet de préoccupation pour la Chine tient à l’impact de cette guerre sur l’économie mondiale et surtout sur la Chine elle-même. Si la Russie, qui n’exporte que des matières premières et dont la taille de son économie ne dépasse pas celle de l’Espagne, se trouve ainsi très vulnérable aux sanctions très dures prises par les Occidentaux, la Chine est beaucoup trop grosse pour être traitée en paria. Trop importante dans le commerce mondial, pour voir ses avions ou ses navires interdits partout dans le monde, trop riche pour voir ses banques exclues du système Swift.

Grande bénéficiaire de cette crise, la Chine retiendra surtout une leçon cardinale : bétonner son économie et ses finances contre les pressions occidentales et se focaliser sur la croissance autonome de son économie, en attendant que les conditions soient réunies pour une réunification sans douleur avec Taïwan.

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