Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

La militarisation du droit international : au service du bien, ou du terrorisme ?

 

La tentation des vainqueurs de criminaliser le vaincu à l’issue d’un conflit est apparue à l’ère moderne en 1918, lors du Traité de Versailles, où il fut envisagé de juger le Kaiser Guillaume II devant un tribunal international. Abandonnée, l’idée ressurgit à Nuremberg en 1945, puis fut prolongée la même année par la création de la Cour Internationale de Justice (CIJ), l’organe juridictionnel de l’ONU, elle-même suivie par la création du Tribunal pénal de l’ex-Yougoslavie en 1993, puis de la Cour Pénale Internationale (CPI) en 1998.

La guerre d’Ukraine, et surtout celle de Gaza, ont ouvert une nouvelle phase dans l’instrumentalisation du droit dans les rapports de force entre les nations. Jusque-là, ces tribunaux se contentaient de cibler les petits : dirigeants balkaniques ou africains particulièrement sanguinaires.

Puis vint le mandat d’arrêt émis par la CPI en mars 2023 contre Poutine lui-même, pour le transfert illégal d’enfants ukrainiens. Le geste fit l’effet d’une bombe, mais recueillit l’appui enthousiaste des Européens et des Américains (ces derniers étant eux-mêmes non membres de la CPI, tout comme la Russie d’ailleurs).

Vint alors Gaza : cette fois, le « Sud global » entrait en scène, pour une tragi-comédie en quatre actes.

Premier acte : le 29 décembre 2023, soit un peu moins de trois mois après l’effroyable pogrom de masse du 7 octobre perpétré par le Hamas, l’Afrique du Sud, auréolée de son prestige de combattant anti-apartheid et anti-raciste, saisit la CIJ, accusant, non le Hamas, mais Israël de pratiquer un « génocide » délibéré contre la population gazaouie. Outre l’objectif de politique intérieure (faciliter la réélection au printemps 2024 du président Cyril Ramaphosa malgré une corruption généralisée et 60 % de chômeurs parmi les jeunes !), le but pour Pretoria était de se poser en vigie morale du Sud Global face à l’impérialisme Blanc, en s’en prenant directement à son fer de lance planté dans le monde arabe : Israël. De victime, il fallait faire d’Israël le bourreau génocidaire des Palestiniens, reconnu comme tel par le Tribunal du monde. Et ce faisant, nier toute légitimité à l’État juif, lui-même né, à l’ONU, du génocide des Juifs d’Europe.

Deuxième acte : trois mois plus tard, c’est le Nicaragua du dictateur sandiniste Daniel Ortega, bien connu pour sa passion des libertés individuelles, qui saisit la même Cour, en accusant cette fois l’Allemagne de complicité de génocide pour ses livraisons d’armes à Israël. Façon particulièrement délicate de renvoyer Berlin à son passé…

Troisième acte : le Procureur de la Cour Pénale Internationale, Karim Khan, annonçait le 20 mai qu’il sollicitait cinq mandats d’arrêt simultanés contre les trois principaux dirigeants du Hamas (Sinouar, Deif et Hanyeh) et deux dirigeants israéliens : le Premier Ministre Netanyahu et son ministre de la Défense Yohav Gallant. Pour des inculpations similaires de crimes contre l’humanité… Équivalence totale donc, entre l’agresseur et la victime, entre le terrorisme et un État démocratique cherchant à se défendre. État génocidaire devant la CIJ, Israël devenait aussi terroriste devant la CPI…

Quatrième acte : quatre jours plus tard, la CIJ se faisait à nouveau entendre, exigeant cette fois
« l’arrêt immédiat des opérations militaires israéliennes à Gaza », le risque de génocide étant devenu « réel et imminent ».

Entre-temps, trois pays européens, l’Espagne, l’Irlande et la Norvège, annonçaient qu’ils reconnaissaient désormais « l’État de Palestine », sans la moindre mention des otages européens toujours retenus par le Hamas. Le Hamas, qui se félicita de cette reconnaissance, comme la victoire du camp de la « Résistance », c’est-à-dire du terrorisme… La France, quant à elle, avait fait connaître son soutien à « l’indépendance » de la justice dans son combat contre « l’impunité ».

Nous sommes donc au bord d’une phase nouvelle, potentiellement extrêmement dangereuse dans l’escalade du conflit dont il est essentiel de prendre toute la mesure. Avant qu’il ne soit trop tard, il faut espérer que les leçons de 1914 et celles de la crise de Cuba auront été soigneusement méditées par ceux qui nous gouvernent. Le fond du sujet, c’est que l’Ukraine, malgré tout son courage, ne peut tout simplement, pour des raisons démographiques et matérielles, reprendre seule la totalité de ses territoires occupés par la Russie. Que Zelensky essaye d’internationaliser le conflit et joue à fond la carte de l’escalade est de son point de vue parfaitement logique. Est-ce pour autant l’intérêt vital de la France ? Que nous nous engagions dans une telle logique extrêmement risquée est certes une option qui doit être considérée, mais dont on doit aussi mesurer toutes les implications, et qui mérite un vrai débat, devant notre peuple, concerné au premier chef.

Engager nos soldats en Ukraine n’est pas recommencer l’opération Barkhane (de triste mémoire au demeurant) quoi qu’en dise M. Macron. Frapper la Russie avec des missiles français a nécessairement une signification politique et stratégique majeure, qu’il faut prendre en compte, et dans ce cas, être prêt à assumer toutes les conséquences.

Pour ma part, je reste attaché à un mot qui n’a jamais été prononcé jusqu’à présent : le mot négociation. Le but de cette guerre doit être d’éviter, non pas que l’Ukraine perde, mais qu’elle ne perde trop.

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