Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
20 Avril 2025
Le monde vit désormais au rythme du yo-yo économique et géopolitique des pulsions d’un seul homme : Donald Trump. Un jour, celui « de la Libération », Trump déclenche une guerre commerciale universelle, semant la panique aux quatre coins du globe ; trois jours plus tard, tout est suspendu (pour 90 jours), sauf pour la Chine avec laquelle commence un vrai découplage économique. La très dévouée ministre de l’Agriculture de Trump, Brooke Rollins, a beau parler d’un « nouvel ordre américain ».
Tandis que d’autres, comme l’historien Niall Ferguson, prévoient « la fin de l’empire américain », entre les deux, c’est un immense « ouf » de soulagement qui domine parmi les bourses et les chancelleries du monde entier… jusqu’à la prochaine foucade trumpienne.
Dans l’immédiat, Trump semble avoir compris que sa déclaration de guerre économique mondiale risquait d’entraîner une crise financière sans précédent, sans parler des centaines de milliards de dollars perdus par ses amis oligarques de la tech, et de ses électeurs menacés par une inflation à près de 5 % et par un arrêt brutal de la croissance.
Quel sera le yo-yo suivant ? Un Trump « raisonnable » reviendra-t-il à la bonne vieille mondialisation, comme on l’espère en Europe ? Rien n’est moins sûr si l’on observe le parcours « intellectuel » de Trump lui-même, et surtout l’appétence constante des États-Unis pour le protectionnisme, ce, depuis des décennies.
Commençons par Trump.
Lors du Sommet économique de Davos en janvier dernier, Trump lançait aux patrons, banquiers et autres dignitaires réunis au Forum économique mondial l’avertissement suivant : « Si vous ne fabriquez pas vos produits en Amérique, ce qui est votre droit, alors très simplement, il vous faudra payer un tarif douanier d’un montant équivalent, et ces tarifs produiront des centaines de milliards de dollars et même des milliers de milliards de dollars pour notre Trésor, qui iront renforcer notre économie, tout en nous permettant de baisser notre dette. » Baisser les impôts et créer des emplois pour les classes moyennes grâce à la réindustrialisation forcée par les tarifs imposés aux concurrents étrangers, baisser la dette : telle est l’obsession de Trump.
Une obsession ancienne. Dans les années 80, Trump était très proche du très médiatique patron de Chrysler, Lee Iacocca, qui menait bataille dans un livre à succès contre les importations de voitures japonaises, en promettant – c’était le titre de l’un de ses chapitres – de « Make America Great Again », un slogan que Trump n’a pas oublié… Trump s’est directement inspiré de Iacocca : en 1987, par exemple, il finançait des pages entières de publicité dans différents journaux, du New York Times au Washington Post et au Boston Globe, pour dénoncer que « depuis des années, le Japon et d’autres ont profité des États-Unis, ils ne nous ont jamais remboursé pour tout l’argent que nous dépensons pour les protéger ».
« Pire », dénonçait-il dans une interview à Playboy en 1990, « ces Japonais profitent de l’argent gagné chez nous pour acheter tout ce qu’ils veulent à Manhattan ! Donc, nous sommes perdants de tous les côtés ». « Les gens en ont marre de voir les autres pays voler littéralement les États-Unis », ajoutait-il chez Larry King sur CNN en 1987 : « Nous sommes un grand pays. Ils se moquent de nous derrière notre dos, à cause de notre stupidité. » Plus tard, quand d’autres compétiteurs furent apparus, Trump n’eut aucune difficulté à remplacer le mot Japon par le mot Chine : « Interchangeable avec la Chine, dit-il, et interchangeable avec d’autres pays », annonça-t-il crûment au Wall Street Journal en 2018. Avec un tel parcours, difficile d’imaginer que Trump, 78 ans, renoncera à ses lubies…
Quant au protectionnisme américain, il est tout aussi constant dans l’histoire des États-Unis, depuis celui des années 1920, parallèle au repli de l’après Première Guerre mondiale, à « la guerre du poulet » déclenchée par Lyndon Johnson en 1964, aux 45 % de droits de douane de Ronald Reagan contre les motos japonaises – cela pour protéger Harley Davidson –, aux tarifs de 30 % imposés par George W. Bush contre l’acier chinois, japonais ou allemand, à ceux d’Obama contre les pneus chinois, à ceux de Trump (déjà) sur l’acier et l’aluminium en 2018, de 25 % pour les produits technologiques chinois, des tarifs maintenus et même augmentés par Biden en 2022 : 100 %, par exemple, sur les voitures électriques chinoises.
Biden expliquant que « les Chinois trichent et volent la technologie américaine. Ce n’est pas de la compétition, c’est de la triche. Et nous en voyons les effets ici en Amérique ».
Conclusion : de la non-convertibilité du dollar décrétée en 1971 à l’extraterritorialité des lois américaines, jusqu’aux tarifs mondiaux de Trump, rien de nouveau, donc, sous le soleil du Potomac. La clé sera la volonté ou non du reste du monde – et singulièrement de la France et de l’Europe – de résister… ou de se soumettre.
Pierre Lellouche
Tribune VA, 10/04/2025