Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
20 Février 2025
Contrairement à Emmanuel Macron, qui s’était fait élire sur la promesse d’une « Révolution » (le titre de son livre de campagne publié en novembre 2016, dont depuis neuf ans les Français ont pu goûter l’insondable vacuité…), Donald Trump, lui, n’a jamais prononcé ce mot. Ce sont pourtant plusieurs révolutions simultanées que le nouveau Président américain a entrepris d’engager, à un rythme effréné depuis son inauguration il y a à peine un mois. Des révolutions soigneusement préparées depuis des mois, appuyées sur des dizaines de décrets présidentiels solidement fondés juridiquement, que Trump égrène quotidiennement devant les caméras depuis le premier jour de son mandat, suscitant incrédulité, consternation, voire épouvante des deux côtés de l’Atlantique.
Car ces révolutions sont de nature à changer profondément la société américaine et ses valeurs, le rôle et le fonctionnement de l’État fédéral, ainsi bien entendu que la place des États-Unis dans le monde.
C’est qu’à 78 ans, richissime, incroyablement rappelé au pouvoir par 74 millions d’Américains, après avoir survécu à une demi-douzaine de procès qui visaient à le tuer politiquement et à deux tentatives d’assassinat qui visaient à le tuer tout court, Trump est une force qui va, et que rien ne semble pouvoir arrêter. Dieu, croit-il depuis l’attentat de juillet 2024, l’a mandaté pour rendre sa grandeur à l’Amérique et rien ne l’en empêchera. Ni le Congrès, à sa main au moins pendant deux ans encore, ni les juges soumis à une Cour suprême elle-même pro-Trump, ni une presse décrédibilisée par son soutien aveugle aux « gauchos » démocrates et de toute façon dépassée par l’explosion des réseaux sociaux pro-Trump.
D’où une triple offensive conduite par une petite équipe soudée autour du Président.
À l’intérieur, tout d’abord, il s’agit de revenir aux valeurs morales et chrétiennes des pères fondateurs et, pour cela, débarrasser l’Amérique du poison du wokisme, en démantelant systématiquement les programmes DEI, dits « d’inclusion » et de « diversité », en réhabilitant la famille fondée sur deux genres et seulement deux : l’homme et la femme. Du Pentagone à Goldman Sachs, le DEI a déjà été éliminé.
Supprimés aussi, c’est la deuxième révolution, des dizaines de milliers de fonctionnaires, le but étant de tailler dans l’État fédéral, à la fois pour en éradiquer les militants « marxistes » qui tenaient « l’État profond », mais aussi pour réduire drastiquement les dépenses publiques. C’est ici qu’Elon Musk entre en scène avec son ministère tronçonneuse, le DOGE, et sa petite armée de coupeurs de têtes, surnommés les « Muskrats » ou rats musqués. Leur objectif : récupérer 3 000 milliards de dollars d’économies, soit 10 % de la dette.
Les cibles prioritaires : l’USAID, déjà supprimée – soit 10 000 fonctionnaires et 45 milliards d’aide distribués à travers le monde –, l’éducation, que Trump veut rendre aux États fédérés, l’environnement, l’énergie et même le Pentagone où la suppression de milliers de normes doit permettre de dégager des milliards d’économies. Tout cela se fait hors du Congrès et contre les juges, qui multiplient des dizaines d’injonctions ignorées jusqu’ici. La crise constitutionnelle n’est pas loin.
Quant à la troisième révolution, elle secoue la terre entière, des voisins immédiats, Mexique et Canada, à la Chine en passant par l’Europe, Panama, Gaza et le monde arabe, l’Ukraine et la Russie. Le point commun est simple : l’Amérique ose tout, revendique tout, du Groenland à Gaza, des droits de douane aux terres rares d’Ukraine, dès lors que cela est dans son intérêt.
Le monde de 1945 est définitivement mort et, avec lui, une Amérique leader du « monde libre », promoteur d’un « système mondial libéral fondé sur le droit ». L’Amérique de Trump sera tout à la fois nationaliste, protectionniste, révisionniste et impérialiste. Alliés et adversaires seront traités avec la même indifférence brutale jusqu’à l’obtention d’un « deal », toujours à l’avantage des États-Unis.
Un langage que comprend parfaitement Poutine, qui attend de régler ainsi le sort de l’Ukraine directement avec Trump, que comprend aussi Xi Jinping, qui cherchera à s’en accommoder, mais qui terrifie littéralement les Européens abandonnés à leurs divisions et à leur faiblesse. À leur nostalgie du monde d’hier…
Pierre Lellouche – 13/02/2025
Tribune VA