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Le deal Trump-Poutine : La fin de la Grande Illusion européenne

Le deal Trump-Poutine : La fin de la Grande Illusion européenne

À Munich, le week-end dernier, les Européens ont pris en pleine face une vérité qu’ils ne voulaient pas voir : Trump va effectivement tenir sa promesse de mettre fin à la guerre d’Ukraine, qu’il juge « ridicule ». Et il va le faire, à l’issue d’une conversation téléphonique d’une heure trente avec Poutine le 12 février… aux conditions de ce dernier.

La négociation se fera entre Américains et Russes uniquement. La Russie obtient ses deux principaux objectifs de guerre : l’Ukraine ne rentrera jamais dans l’OTAN, tandis que la Russie conservera les territoires conquis militairement en Crimée et dans le Donbass.

Les Européens, grands perdants

Avec les Ukrainiens, les Européens sont les grands perdants de ce tournant de l’Histoire. Entrés dans cette guerre sous le coup de l’émotion et de l’indignation – au demeurant légitimes –, ils n’ont fait que suivre, sans avoir défini la moindre stratégie, une administration Biden hésitante et finissante, elle-même incapable de définir ses propres buts de guerre, hormis d’éviter « une Troisième Guerre mondiale » (dixit Biden), tout en répétant que « rien en Ukraine ne serait décidé sans l’Ukraine ».

Mais voilà : Trump, largement réélu, vient de changer radicalement la donne. Non seulement il veut en finir avec la guerre en Ukraine, non seulement il exige des Ukrainiens d’être « remboursé » en terres rares pour l’aide déjà déboursée, mais il demande aussi aux Européens de doubler au minimum leurs dépenses militaires afin de permettre à l’Amérique de se concentrer sur d’autres régions du monde, à commencer par la menace chinoise.

Exit l’illusion d’une protection américaine quasi gratuite, comme cela était le cas depuis soixante-dix ans.

Un choc politique et idéologique

En prime, les Européens ont dû subir, à Munich, de la part du vice-président JD Vance, une véritable leçon de démocratie : l’Europe, a-t-il asséné sans la moindre précaution oratoire, aurait fait reculer les libertés au nom du progressisme.

En pleine guerre par procuration avec la Russie, l’alliance occidentale vient donc de se fracturer spectaculairement, autant militairement qu’idéologiquement. Et l’Europe, sidérée, se retrouve seule face à son destin.

Le réveil est brutal.

Tout au long de la guerre, les Européens s’étaient contentés de répéter, sans définir le moindre objectif stratégique, le fumeux mantra du « aussi longtemps que nécessaire ». Ils maintenaient publiquement l’illusion d’une prochaine adhésion de l’Ukraine à l’OTAN, alors même qu’ils savaient pertinemment que les Américains – d’Obama à Biden et Trump – y étaient opposés.

Cette illusion leur permettait d’exclure toute négociation avec la Russie sur un statut de neutralité de Kiev. Et surtout, malgré les grands discours sur la « souveraineté européenne » ou « l’Europe de la défense », ils n’entreprenaient aucun réarmement digne de ce nom.

L’Europe exclue des négociations

Au final, après trois ans de guerre aussi dévastatrice qu’inutile, l’Ukraine, dépecée, n’entrera toujours pas dans l’OTAN et restera sans garanties solides de sécurité.

Dindons de la farce, les Européens le sont aussi sur le plan économique. Après avoir englouti 150 milliards d’euros, perdu l’accès au gaz russe bon marché – remplacé par du gaz liquéfié américain quatre fois plus cher –, ainsi que des dizaines de milliards d’investissements en Russie, les voilà non seulement exclus des négociations de paix, mais également appelés à prendre en charge des garanties de sécurité hors de leur portée, en plus de la reconstruction de l’Ukraine, estimée à 700 milliards d’euros qu’ils n’ont pas.

Enfin conscients qu’ils risquent de se retrouver littéralement effacés de leur propre histoire, les Européens vont tenter de réagir. C’est le sens du mini-sommet dit « de travail », tenu à Paris lundi dernier, au lendemain même de la conférence de Munich, en vue de réclamer, à tout le moins, un strapontin lors des futures négociations de paix et de commencer à examiner qui, parmi eux, serait prêt à s’engager militairement en Ukraine après un éventuel armistice.

Dilemme redoutable : rester à l’écart est impensable pour les Ukrainiens, qui, privés du soutien américain, réclament aujourd’hui, par la voix de Zelensky, « une armée européenne de 200 000 hommes ».

En revanche, s’engager en Ukraine, à supposer que l’on puisse réunir ces 200 000 hommes, risquerait d’entraîner les Européens dans un bourbier sans fin, et cela sans protection américaine. Car le secrétaire américain à la Défense a déjà prévenu : si les Européens choisissaient de s’engager, ils le feraient « hors article 5 » de l’OTAN, c’est-à-dire à leurs risques et périls, sans garantie américaine.

Un avertissement ignoré

Ce scénario noir confirme en tous points, hélas, l’analyse que je défends depuis le début du conflit, développée dans mon livre Engrenages, paru en octobre dernier.

Cette guerre épouvantable, qui a dévasté l’Ukraine, causé plus d’un million de morts et blessés des deux côtés, et entraîné huit millions de réfugiés, aurait pu être évitée.

Elle aurait même pu être interrompue dès mars-avril 2022, alors que les négociations russo-ukrainiennes, sous médiation turque, étaient sur le point d’aboutir. Elle s’est pourtant poursuivie trois années durant, alors qu’il était clair que l’Ukraine, réduite à une trentaine de millions d’habitants face à 145 millions de Russes, ne pouvait tout simplement pas reconquérir les territoires perdus.

Dès début 2023, avec le général Mark Milley, j’étais l’une des rares voix à insister sur l’urgence d’une solution négociée, avant que l’Ukraine ne se retrouve encore plus affaiblie. Aucun de ces avertissements n’a été entendu.

L’Europe face à un avenir incertain

L’important désormais est, comme disent les militaires, de conduire un indispensable « retex ». Il faut comprendre pourquoi ces erreurs successives ont été commises et surtout se préparer à un avenir des plus difficiles en Europe.

Il est en effet douteux que l’accord américano-russe qui se dessine permette d’organiser une paix durable sur le continent. Le pire, comme le craignait Jacques Bainville en 1919 à propos du traité de Versailles, est « de refermer la plaie en laissant l’infection à l’intérieur ».

Or, c’est précisément ce qui risque de se produire avec une Ukraine amputée, dévastée économiquement, politiquement instable, mais militairement surarmée… Une Ukraine à qui nous avons promis une entrée rapide dans l’Union européenne.

C’est cela désormais qui nous attend, bien loin du Green Deal de Mme von der Leyen, et encore plus loin de l’illusion d’une protection américaine garantie comme pendant la Guerre froide.

Tout repenser, à commencer par l’Europe. Réarmer d’urgence, et d’abord au niveau national, en cessant de nous bercer d’illusions bruxelloises. Voici ce qui nous attend.

Avec une situation politique bloquée au lendemain de la dissolution et 3 000 milliards de dettes, la France devra pourtant, une fois encore, faire face.

Par Pierre Lellouche - JDD News – 17 février 2025

 

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