Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Lettre ouverte : Monsieur le Président,

Lettre ouverte : Monsieur le Président,

Monsieur le Président,

Je vous écris une lettre,
Que vous lirez peut-être,
Si vous avez le temps…

Rassurez-vous, Monsieur le Président, je ne suis ni pacifiste ni déserteur.
Je suis simplement un citoyen, soucieux de la défense de nos intérêts nationaux, mais aussi de plus en plus inquiet de l’évolution des événements autour de la guerre en Ukraine. Une inquiétude, je vous l’avoue, en partie alimentée par vos déclarations.

La plus récente, télévisée le mercredi 5 mars, a rassemblé 14 millions de nos concitoyens. Vous avez réalisé une part d’audience remarquable de 70 % pour annoncer quoi ? Qu’au-delà de l’Ukraine, « la menace russe nous touche », que « son agressivité ne semble pas connaître de frontières », que la Russie constitue – et vous l’avez répété – « une menace pour la France et pour l’Europe » et que, dans ces conditions, « rester spectateurs serait une folie ».

Alors que Trump renoue avec la Russie, vous la désignez comme notre adversaire, voire comme notre ennemie, adoptant le leitmotiv de Zelensky : « après l’Ukraine, Poutine prendra l’Europe ». Un postulat hautement discutable, au regard des piètres performances de l’armée russe après trois années de guerre contre un adversaire cinq fois moins nombreux et bien plus pauvre.

Alors que les États-Unis cherchent un cessez-le-feu rapide, allant jusqu'à suspendre leur aide militaire à Kiev, vous annoncez vouloir poursuivre le combat, ou plus précisément laisser les Ukrainiens poursuivre un combat désormais perdu, car l’Ukraine ne peut militairement reconquérir le Donbass et la Crimée. Pour ce faire, vous souhaitez, avec la majorité de vos collègues européens, remplacer l’aide américaine déjà stoppée. Jusqu’où et avec quels objectifs ? Avec quels moyens ? Mystère…

Vos décisions semblent fermes et votre résolution totale. Pourtant, pour rassurer nos concitoyens inquiets, il est utile de rappeler votre goût prononcé pour les changements de cap répétitifs. Depuis 2017, vous avez adopté des positions que certains qualifieraient de contradictoires en politique internationale :

  • Au Liban, vous avez donné des leçons de démocratie avant de vous en désintéresser totalement. Aujourd’hui, nous sommes absents de la région.
  • En Israël, après le 7 octobre, vous avez prôné une coalition internationale contre Daesh avant de réclamer un cessez-le-feu immédiat.
  • En Afrique, après avoir proposé une relation renouvelée avec la jeunesse africaine, nous avons été expulsés du Sahel après dix ans de présence et des milliards d’euros engloutis.
  • En Europe, vous vous êtes aligné sur la politique écologique allemande avant de découvrir l’urgence du programme nucléaire français.
  • Concernant l’Ukraine, vous avez commencé par dialoguer avec Poutine, avant d'affirmer que « la Russie ne doit pas gagner ».

Enfin, vous avez agité le parapluie nucléaire français pour le proposer à nos partenaires européens, dans une stratégie incertaine où l’absence de moyens financiers et militaires interroge.

Malgré vos précautions oratoires, j’ai constaté ces derniers jours, à Paris comme en province, une vague d’anxiété profonde suscitée par vos annonces. Vous avez déclaré : « Vous êtes légitimement inquiets ». Peut-être nos concitoyens ne l’étaient-ils pas avant votre allocution ; ils le sont à coup sûr depuis.

Sur le fond, la question se pose : quelle stratégie suivre face à la guerre en Ukraine et à l'architecture de sécurité européenne ?

  • Si la Russie constitue une menace existentielle, pourquoi n’avons-nous pas réarmé en conséquence depuis trois ans ?
  • L'Europe parle beaucoup de défense, mais aucun budget significatif n’a été avancé.
  • Si la Pologne et l’Allemagne ont pris la voie du réarmement, la France, sous contrainte budgétaire, ne pourra le faire qu’au prix de coupes dans ses dépenses sociales.

Si, comme vous l'affirmez, la Russie réactive son impérialisme, nous devons nous y préparer. Mais il est probable que Russes et Américains parviennent à un « deal », auquel l'Ukraine sera contrainte de se plier. La levée des sanctions redonnera à la Russie une place dans l'échiquier économique international, tandis que nous, européens, nous retrouverons isolés, sans issue diplomatique.

En conclusion, cette guerre est déjà une catastrophe pour la France et pour l'Europe. Elle pourrait encore empirer si de nouvelles erreurs de calcul étaient commises. Dans ces conditions, vous comprendrez, Monsieur le Président, que je ne sois pas rassuré par vos orientations.

Pierre Lellouche

10 mars 2025

 

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M
Monsieur le Ministre,<br /> <br /> je me permets de vous exprimer ma gratitude pour avoir publié cette lettre ouverte.<br /> J’aimerais tant que votre initiative porte ses fruits.<br /> Je soutiens vos propos intégralement.<br /> Bon nombre de Français pensent comme vous, faudrait-il encore qu’ils soient entendus…<br /> Encore merci.<br /> <br /> Marion Winter
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L
Bonjour,<br /> Ces derniers temps, j'ai eu l'occasion de vous entendre ou de vous lire sur la guerre en Ukraine.<br /> Je viens de lire votre ''Lettre ouverte au Président''.<br /> Je suis sidéré par vos positions.<br /> Chaque ligne de votre lettre mériterait, et mérite, qu'on vous reprenne.<br /> Je crois savoir que vous vous dîtes gaulliste.<br /> Je rapproche votre propos ''les ukrainiens poursuivent un combat pourtant perdu'', ''l'Ukraine ne peut tout simplement pas reconquérir militairement le Donbass et La Crimée'' de ce qu'a fait de Gaulle en juin 40 : considérait-il que Résister à l'Allemagne et reconquérir la France était impossible et était un ''combat pourtant perdu'' ?<br /> Lui a su dire NON. Non à la défaite et oui à la reconquête du territoire et à sa libération de l'occupation allemande. Vous, vous dîtes OUI à la défaite de l'Ukraine, oui à l'abandon de ses régions du Donbass et de la Crimée et non à la libération de ces territoires de l'occupation russe.<br /> Et ceci, sans parler du reste :<br /> - vous faites l'éloge de Trump qui renoue avec Poutine, alors que le Président français désigne la Russie comme ''notre adversaire, voie même comme notre ennemie'' : Poutine se veut-il l'ennemie de l'Occident décadent ou pas ? Et veut-il récupérer, après, tout ou partie des territoires baltes et d'Europe centrale ?<br /> - Ensuite, vous faites l'éloge de l'Amérique qui ''cherche à obtenir un cessez-le feu au plus vite ''. Mais un cessez-le feu dans quelles conditions ? A condition que Zélenski lui cède ses minerais rares. C'est du chantage pur et simple.<br /> Je remarque également que vous n’êtes pas le seul à dire cela. Toute une partie de responsables et d’anciens responsables de droite sont sur cette ligne. Mais elle est où la fameuse ligne ‘’d’équilibre’’ de de Gaulle entre la Russie et l’Amérique ?<br /> Marc LESAUVAGE
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P
Merci de vos échanges, une nouvelle contribution qui honore ce blog.
M
Le débat est ouvert, je réagis donc au commentaire du 13 mars 2025.<br /> Vladimir Poutine n’est pas Adolf Hitler.<br /> Zelensky n’est pas le Général de Gaulle.<br /> Le conflit russo-ukrainien ne peut pas être comparé à la France occupée pendant la Deuxième Guerre Mondiale.<br /> Toutes ces analogies insinuées sont fallacieuses.<br /> Il faut comparer ce qui est comparable sinon on tombe vite dans des pièges idéologiques.<br /> Cette guerre sur notre sol européen aurait dû et aurait pu être évité, effectivement. Maintenant, que l’occasion se présente, il faut essayer de négocier la paix. C’est la seule solution sensée. Ce n’est pas une capitulation. C’est du bon sens. Même le Pape, et qu’il repose en paix, a demandé à Zelensky de hisser le drapeau blanc en mars 2024…<br /> Le Donbass et la Crimée sont des territoires historiquement russes, majoritairement russophones. La Crimée a confirmé son rattachement à la Russie via un référendum en 2014. (96 % des votants se sont exprimés en faveur de ce rattachement…)<br /> Autrefois, on appelait cela l’autodétermination des peuples…<br /> Dans le Donbass la situation s’est détériorée suite aux « événements de Maïdan de 2014 » - un joli euphémisme pour décrire ce que d’aucuns appellent un putsch avec ingérence américaine qui a porté au pouvoir des nationalistes Ukrainiens...<br /> Les souhaits des populations russophones pour plus d’autonomie, également transcrits dans les Accords de Minsk, n’ont pas été respectés par Kiev. Certains droits ont été écornés. Le russe en tant que langue officielle interdit.<br /> Parfois on dit que la langue est l’âme d’un peuple….<br /> Bref. La population russophone dans le Donbass s’est insurgée. A manifesté et encore manifesté. Il y a eu répression et puis répression dans le sang de ces manifestations. Des milices se sont formées. Les combats commencent. Un jour le Donbass est bombardé…<br /> A Kiev, mène-t-on une guerre contre la Russie dans le Donbass ?<br /> Ou, bombarde-t-on sa propre population ?<br /> Oui, la situation est très complexe et aucunement comparable à celle de la France occupée.<br /> Il est vrai que le Général de Gaulle a demandé aux Français de résister, mais il faut le dire aussi, sans le concours des Américains et le débarquement allié tout ça n’aurait peut-être pas suffit pour libérer la France et la délivrer du national-socialisme….<br /> En Ukraine, que faut-il appeler « occupation » ou « résistance » aujourd'hui, alors que la situation n’est pas comparable ?<br /> Et puisque ce contexte de Deuxième Guerre Mondiale, est évoqué, il convient de constater que encore aujourd'hui, il y des Ukrainiens qui vénèrent Stepan Bandera, qu’une avenue principale de Kiev porte toujours son nom en 2025…<br /> On peut noter que l’Ukraine a collaboré avec le régime nazi pendant son occupation. Des Ukrainiens ont intégré les rangs des SS. Des atrocités ont été commises par des Ukrainiens pendant la Guerre. Il y a eu des gardiens ukrainiens dans les camps de concentrations.<br /> Tout cela est factuel et nous mène à la conclusion suivante.<br /> Toutes les guerres sont sales. C’est dans la nature des guerres. Quand elles peuvent être évitées, il faut les éviter. Nous n’avons pas su éviter celle-ci, mais nous avons maintenant l’opportunité de l’arrêter.<br /> Donald Trump et Vladimir Poutine semblent vouloir aller vers la paix. Accompagnons-les…<br /> <br /> Marion Winter, le 24/04/2025
P
Merci d'avoir pris le temps d'ouvrir le dialogue auprès de nos autres lecteurs, très utile en ce moment.