Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
15 Juin 2025
Donald Trump n’apprécie guère le surnom de « taco » que vient de lui attribuer la presse anglo-saxonne, à commencer par le très influent Financial Times. Ce n’est pas tant que le président américain ait une aversion pour la cuisine mexicaine — et sa fameuse tortilla de maïs garnie de guacamole et autres condiments exotiques — mais plutôt la signification moqueuse de cette appellation, lancée par l’éditorialiste Robert Armstrong, très suivi par les investisseurs.
En matière de droits de douane, affirme Armstrong, « Trump always chickens out », autrement dit, en version abrégée : « taco ». En bon français : « Trump se dégonfle toujours ».
Illustration : Trump commence souvent par menacer la planète entière — jusqu’aux pingouins des pôles — en brandissant des chiffres vertigineux : +30 % pour les Canadiens et les Mexicains, +50 % pour les Européens, +145 % pour les Chinois, etc. Mais dès que les marchés réagissent (mal), Trump recule, reporte ou réduit drastiquement ses exigences. Que les investisseurs se rassurent : le « bully » n’est qu’un faux dur, qui fait beaucoup de bruit mais finit par se dégonfler… non sans créer toutefois un chaos mondial et un impact très négatif pour les États-Unis eux-mêmes.
Le syndrome du taco s’appliquerait également à la politique étrangère de Trump, selon une étude très sérieuse menée par Jeremy Shapiro, du Conseil européen des relations internationales. Durant ses deux mandats, Trump a agité le sabre d’une action militaire imminente pas moins de vingt-deux fois. Mais à chaque occasion, il a choisi de ne pas employer la force — sauf à deux reprises.
Qui se souvient encore que Trump avait menacé la Corée du Nord de « feu et de fureur » si elle ne renonçait pas à l’arme nucléaire ? Avant d’engager, ensuite, une négociation baroque avec le dictateur de Pyongyang, qui, bien entendu, n’a débouché sur rien. Idem en Afghanistan, où Trump négocia à Doha le retrait des troupes américaines en février 2020, sans obtenir la moindre concession des Talibans. Ce qui provoqua, un an plus tard, la piteuse débandade de Kaboul, sous Biden, en août 2021.
Certes, Trump a su décider l’élimination du chef des Gardiens de la Révolution, Qassem Souleimani, et ordonner deux douzaines de frappes aériennes contre des cibles djihadistes. Mais toujours dans des situations où les États-Unis ne risquaient aucune riposte directe. Shapiro conclut que Trump adore montrer ses muscles, brandir bruyamment la menace de la force, jouer les matamores dans les médias, mais se garde bien d’engager le combat dès qu’un risque réel de conflit existe.
Quatre mois après son retour à la Maison-Blanche, les leçons de son premier mandat semblent se confirmer.
En Iran, tout d’abord : après avoir déclaré que l’Iran devait démanteler l’intégralité de son programme nucléaire sous peine de subir une frappe massive, Trump négocie aujourd’hui un accord encore moins contraignant que le JCPOA de 2015 — qu’il avait lui-même dénoncé en 2018 comme « affreux ». Au grand dam de la France, des Européens, et d’Israël, l’Iran devrait conserver le droit d’enrichir de l’uranium, alors même que Téhéran a poursuivi sans relâche sa production d’uranium enrichi à 60 % (soit 450 kg, proche du seuil militaire). Et que penser de cet étrange armistice négocié avec les Houthis du Yémen pour suspendre leurs attaques… mais uniquement contre les navires américains ?
Même verdict en Ukraine : Trump prétendait pouvoir instaurer la paix en vingt-quatre heures ; elle semble aujourd’hui s’éloigner un peu plus chaque jour. Fatigué des « égos » des belligérants, il laisse entendre qu’il est prêt à laisser l’affaire entre les mains des Européens. Trump n’aime pas la guerre, et n’a aucune intention de s’y laisser entraîner.
Quant à l’Asie, lors du dernier week-end à Singapour, à l’occasion du sommet Shangri-La, son ministre de la Défense, Pete Hegseth, a mis en garde la Chine contre toute velléité de conquête de Taïwan. Mais face à l’effort colossal de réarmement chinois dans la région — et aux menaces américaines sur l’économie asiatique — la crédibilité des États-Unis est fortement entamée. Les pays de la zone se retrouvent ainsi pris dans une impitoyable tenaille : ils dépendent de l’Amérique pour leur sécurité, mais de la Chine pour leur prospérité. À Singapour, Emmanuel Macron a bien tenté de présenter « l’Europe » comme alternative à la confrontation des deux géants, mais sans réel succès…
Il ne reste donc qu’aux plus vulnérables de s’inquiéter : les Esquimaux du Groenland, les armateurs panaméens… Le syndrome du « taco » pourrait bien finir par les concerner, eux aussi. À moins, bien sûr, que l’imprévisibilité de Trump ne conduise à d’autres erreurs de calcul.
Pierre Lellouche – Tribune VA – 4 juin 2025