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Avec Trump, le risque d’un révisionnisme américain

Avec Trump, le risque d’un révisionnisme américain

L’ancien ministre Pierre Lellouche prend au sérieux les déclarations du président-élu sur l’annexion du Groenland ou du Canada.

« L’Amérique de Trump pourrait devenir révisionniste sur l’annexion du Canada, du Groenland et du canal de Panama, pour des effets de manche ou des boutades. Ce n’est pas forcément le cas : il pourrait s’agir d’objectifs cohérents avec les intérêts stratégiques des États-Unis et nécessaires à leur affirmation comme première puissance mondiale. Au XIXᵉ siècle, les États-Unis ont annexé le tiers du Mexique et n’ont reconnu la frontière avec le Canada qu’en 1871. Donald Trump pourrait avoir comme ambition de réunir l’ensemble de l’Amérique du Nord. Ne parle-t-il pas déjà de rebaptiser le golfe du Mexique en Golfe d’Amérique ?

Quant au Groenland, il est évident qu’il ne laissera pas les Chinois ou les Russes s’y installer. Pour Panama, le canal a été créé, puis administré par les États-Unis, jusqu’à la fin du XXᵉ siècle. Si de tels discours révisionnistes sont tenus par le président des États-Unis, comment dire ensuite aux Chinois qu’ils ne doivent pas contrôler la mer de Chine ou aux Russes qu’ils doivent renoncer à la Crimée et au Donbass ? »

Pierre Lellouche, ancien député et secrétaire d’État (Affaires européennes, puis Commerce extérieur), spécialiste des questions internationales, a récemment publié Engrenages. La guerre d’Ukraine et le basculement du monde (Odile Jacob, 2024).

Entretien avec Jean-Dominique Merchet

Votre livre parle d’un « basculement du monde ». L’arrivée, lundi prochain, de Donald Trump à la Maison Blanche en est-elle le symbole ?

Donald Trump arrive en effet au pouvoir avec quelque chose de radicalement nouveau, avec une remise en question de ce qu’était l’idéologie traditionnelle du Parti républicain. Une nouvelle doctrine est formulée, en particulier par le vice-président J.D. Vance. À l’opposé de ce qu’a été le néoconservatisme, il s’agit d’un isolationnisme musclé.

Je formule cependant l’hypothèse que cela pourrait aller plus loin encore, même si l’on ne peut pas en être certain. Il se pourrait qu’avec la doctrine MAGA, l’Amérique elle-même devienne révisionniste, que Donald Trump soit le fossoyeur de ce que les spécialistes appellent le Rule-Based International Order, l’ordre international libéral que l’on a connu depuis 1945, fondé sur des règles de droit.

On voyait déjà se mettre en place, autour des BRICS, un contre-modèle occidental, avec des puissances revanchistes et révisionnistes qui en ont assez de nos valeurs et de nos sanctions. Et maintenant Donald Trump revient à Washington.

 

 

Aux côtés de Donald Trump, il y a également Elon Musk, autre exemple de « basculement du monde »…

Elon Musk et toute la Tech avec lui posent un défi absolument central. Les réseaux sociaux augmentés par l’IA offrent des possibilités d’interférences vertigineuses. Le devenir de nos régimes démocratiques est en cause.

Cette technologie est déjà utilisée par nos ennemis, comme on le voit avec le cas récent des influenceurs algériens en France. Cela se produit alors que le niveau scolaire des adultes (savoir lire, écrire et compter) connaît une baisse considérable dans la plupart des pays développés, y compris en France et aux États-Unis, comme le montre une récente étude de l’OCDE.

L’information passe désormais massivement par les réseaux sociaux, avec un minimum de vocabulaire... L’information et la culture viendront de machines contrôlées par les États-Unis et la Chine, car l’Europe s’est avérée incapable d’avoir son X, son Facebook, son TikTok. Ce que nous savons faire, ce sont des directives à Bruxelles !

 

L’Europe pourra-t-elle résister ?

Je persiste à croire qu’on peut s’en sortir. Nous avons les capacités intellectuelles pour le faire, mais le problème est que nous n’avons pas assez d’argent pour développer les entreprises.

La seule fortune personnelle d’Elon Musk est supérieure au PIB de la Grèce. Pour faire fonctionner ces technologies, on a besoin de deux choses : des données et de l’énergie bon marché pour faire tourner les machines. La puissance n’est pas dans l’ADN de l’Union européenne, mais en revanche, elle est dans celui des grands pays d’Europe comme la France, l’Allemagne ou le Royaume-Uni...

Si l’on n’y arrive pas depuis Bruxelles, faisons-le au niveau national. Même si aujourd’hui, nos systèmes politiques sont décapités, que ce soit à Paris ou à Berlin. Et ce n’est guère mieux à Londres…

 

Certains, pourtant, tirent la sonnette d’alarme, comme le rapport Draghi...

Ce sont des rapports... Le grand désastre qui nous attend est d’abord économique : l’Europe a raté le tournant des nouvelles technologies et le PIB de l’Europe a décroché par rapport à celui des États-Unis. 

La situation est d’autant plus sérieuse que le principal pays d’Europe, l’Allemagne, connaît une crise profonde de son modèle économique. Ajoutons que l’Europe ne sait pas gérer le problème de l’immigration musulmane, que le narcotrafic se développe et que la natalité est en baisse... Nos démocraties commencent à battre de l’aile sous la pression migratoire et la crise économique. 

C’est une situation très difficile, à laquelle sont venues s’ajouter les conséquences de la guerre d’Ukraine.

 

Pourquoi portez-vous un regard très critique sur l’engagement des Européens en faveur de l’Ukraine ?

Je regarde les conséquences. Nous avons désormais une plaie purulente au centre de l’Europe, et cela va durer. Nous aurons une Ukraine amputée, dévastée, politiquement instable et surmilitarisée. 

Et les États-Unis vont laisser les Européens se débrouiller avec cela. Cela va nous coûter des milliards ! On s’est engagé dans une guerre sans être d’accord entre nous sur les buts de guerre. Aujourd’hui, alors que l’on parle de négociations, on sera sur un strapontin, alors que ce sera nous, Européens, qui allons récupérer le problème : quels financements pour la reconstruction et notre réarmement ? Quelles garanties de sécurité ?

L'Opinion

16 janvier 2025

https://www.lopinion.fr/

Avec Trump, le risque d’un révisionnisme américain

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