30 Avril 2021
Emporté par le Covid il y a quelques jours, Marc Ferro avait publié en 2007 un livre plus que jamais d’actualité : « le ressentiment dans l’histoire ».
Sa thèse est que les peuples n’oublient jamais l’humiliation subie dans le passé, citant entre autres exemples, les noirs américains qui connurent l’esclavage, ou les arabes qui furent expulsés d’Espagne en 1492.
Mais Ferro n’était pas allé au bout de son raisonnement : lorsque le ressentiment devient politique d’État, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur, il sert alors de ciment à l’identité nationale en même temps bien sûr que d’alibi commode au pouvoir en place. Et le ressentiment vire à la haine de l’ennemi qui a fait le mal, au point de devenir l’ADN même du pays. Ainsi entre autres exemples, du Pakistan, de l’Iran, et plus proche de nous, de l’Algérie.
Lorsqu’en août 1947 Mohamed Ali Jinnah déclare l’indépendance du Pakistan, son unique objectif est de construire une nation entièrement musulmane, séparée de l’Inde hindoue. Mais aux yeux de l’avocat laïque qu’était Jinnah, lequel ne dédaignait ni le mode de vie occidental, ni la consommation d’alcool, son Pakistan n’aurait rien d’une nation fondamentaliste. Jinnah n’aurait jamais imaginé qu’au fil des guerres et des déplacements de populations, de l’incurie et de la corruption de ses gouvernants, son pays verse 60 ans après, dans un fanatisme islamique d’État, en première ligne du combat contre « la France blasphématoire du prophète ».
Depuis 1979, l’Iran de Khomeini et son appareil sécuritaire omniprésent, ne perdurent que par la haine totale de l’Amérique, coupable de la double humiliation du renversement de Mossadegh par la CIA et de l’imposition du régime impie du Shah. Cette haine du » Grand Satan » est désormais l’ADN et le ciment idéologique de la république Islamique ainsi que du schisme dans le monde.
Emmanuel Macron découvre, en accumulant les maladresses, voire les fautes, depuis sa campagne électorale de 2016, que nous avons très exactement le même problème avec l’Algérie. Le candidat a eu beau se repentir à Alger des « crimes contre l’humanité » commis selon lui par la France, pendant la période coloniale, le Président qu’il est à présent a beau considérer que nous sommes toujours, comme il vient de le déclarer à la chaîne de télévision américaine CBS un « pays colonial, » dont il faut « déconstruire l’histoire », rien n’y fait . Le régime des généraux qui tient le pouvoir en Algérie depuis l’indépendance, ne se maintient que grâce au rejet, voire à la haine ouverte de la France...le pire étant que cette haine se répand aussi dans l’opposition du Hirak, qui accuse la France, toujours elle, de complaisance à l’égard du pouvoir...
Fin avril, alors que la visite du premier ministre Castex était annulée in extremis par les algériens, il se trouva un ministre algérien du travail, Hachemi Djaaboub, pour déclarer publiquement devant le Sénat d’Alger que la France « était l’ennemie traditionnelle et éternelle de l’Algérie ». Quant au conseiller mémoire du président Tebboune, Abdel Majid Chiklhi, théoriquement chargé d’être l’interlocuteur de Benjamin Stora dans le fameux dialogue « dialogue des mémoires » souhaité par Paris, il accusa publiquement la France coloniale d’avoir « œuvré pour répandre l’analphabétisme en Algérie », oubliant que la quasi-totalité des cadres du FLN avait été formés en France ou dans des écoles françaises...
Le problème de la repentance, c’est qu’elle n’est pas sans effet sur les millions d’Algériens, de maghrébins ou d’africains musulmans immigrés en France et leur descendance. L’idée que la France est chargée de crimes contre leurs pères, contre leur culture, contre leur religion ,n’est pas sans alimenter le terreau de haine et de violence ouverte que l’on voit désormais se déverser chaque soir ou presque, dans les banlieues françaises, ciblant outre les juifs bien sûr, mais aussi les forces de l’ordre: les policiers et les pompiers, et tout ce qui porte l’uniforme de l’État français.
C’est pourtant un proche du Président de la République, expert en la matière, Hakim Al Karaoui qui vient nous mettre en garde, à l’issue d’une étude très poussée sur quelques 2500 djihadistes français : « l’islam est devenu une identité absolue. Aujourd’hui, il manque le leader qui va lancer l’appel sur le mode « je suis musulman, et je suis chez moi. Je veux qu’on respecte le cœur de mon identité. « Charlie », c’est l’État et donc je prends les armes contre l’État ». Et d’avertir : « la nouvelle génération du Djihad pourrait très bien agir sur le théâtre intérieur. Notamment en appelant à se défendre contre la pseudo « islamophobie d’État » ou contre les atteintes à la personne du prophète ».
Pas sûr que la repentance ou la « reconnaissance » comme dit Macron, soient la meilleure stratégie dans cette guerre-là...