Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
13 Juillet 2024
Quel magnifique dîner d'État que celui du 8 juin offert par Emmanuel Macron à l'Élysée à son collègue Biden ! Une apothéose gastronomico-mondaine à l'issue des célébrations du Débarquement et de la visite d'État du Président américain : Emmanuel et son ami Joe étaient ce soir-là les rois du monde, leur leadership le phare du monde libre dans un océan de tempêtes...
Un mois plus tard, l’hubris se paie cher. « Quand on court de soi-même à sa perte, disait Eschyle, les dieux y mettent la main aussi. » Macron, vexé du mauvais vote des Français le lendemain 9 juin, a voulu leur jeter « une grenade entre les jambes » en décrétant une dissolution surprise du chef, le soir même, tout en les menaçant de « guerre civile » si d’aventure ces gueux s’avisaient de mal voter à nouveau.
Le voilà servi au-delà de ses espérances. Le 7 juillet, lui qui prétendait il y a 7 ans transcender le vieux clivage droite-gauche, a fabriqué un pays polarisé comme jamais entre deux extrêmes, sans majorité parlementaire ni gouvernement, condamné à la paralysie, avec au bout, probablement, sa démission forcée à lui...
De l’autre côté de l’Atlantique, Biden s’est lui littéralement effondré lors du débat crucial du 27 juin face à Trump. Le « cover up » soigneusement organisé par son entourage depuis des mois pour masquer sa déchéance physique autant que cognitive, s’est brutalement déchiré devant l’œil impitoyable des caméras de CNN. Au lieu d’un « Commandant en Chef » capable de conduire leur pays dans les quatre prochaines années, les Américains ont découvert un vieillard grabataire, souvent inaudible, perdu, cherchant ses mots...
Alors que la Convention démocrate du 19 août avance à grands pas, sa désignation comme candidat est brutalement remise en cause. Des grands donateurs se retirent. Panique...
Mais Joe, comme Emmanuel, résiste encore. Devant ABC la semaine dernière, le voici qui s’exclame : « Je suis le type qui a relancé l’OTAN. Personne ne pensait que je pouvais l’élargir. Je suis le gars qui a cloué le bec à Poutine. Personne ne pensait cela possible. Je suis le gars qui a réuni 50 nations pour aider l’Ukraine... Il n’y a personne de plus qualifié que moi pour gagner cette élection. Je me maintiens et je gagnerai. » En ajoutant que « Seul le Bon Dieu, s’il me le demandait, pourrait peut-être me faire changer d’avis. » Hubris toujours.
Joe et Emmanuel se retrouvent cette semaine à Washington, pour une autre commémoration : les 75 ans de l’OTAN. Mais dans une toute autre ambiance qu’à l’Élysée. Avec LFI et le RN désormais en force à l’Assemblée, la ligne très martiale de Macron en Ukraine se voit quelque peu compromise. Quant à Biden, il ne peut pas ignorer que l’hôte véritablement attendu, tout autant que redouté par les chefs d’états alliés invités, n’est pas lui Biden le sortant, mais Trump.
Trump à qui Zelensky demande déjà, publiquement, de préciser son futur plan de paix pour l’Ukraine. Trump qui promet, selon ses conseillers, une fois la paix conclue avec la Russie, de revoir en profondeur l’Alliance, en allant jusqu’à retirer l’essentiel des GIs du sol européen.
Signe des temps, alors que Paris et Washington ne s’occupent plus que de leurs querelles intérieures, Viktor Orban, le Hongrois, en a profité pour inaugurer sa présidence du Conseil européen en allant rencontrer Zelensky puis Poutine, en médiateur de paix autoproclamé... Au grand dam de la Commission qui a cru bon de préciser qu’Orban ne saurait s’exprimer à Moscou au nom des Européens. Ambiance...
De l’autre côté du monde, au même moment à Astana, les leaders d’une vingtaine de pays du Sud global, réunis au sein de l’OCS (Organisation de Coopération de Shanghai), derrière Xi et Poutine, contemplent, un verre de vodka à la main, le jeu de quilles de leurs adversaires démocrates : Sunak balayé à Londres, Scholz en passe de l’être en Allemagne, et bien sûr les fins de règne de Joe et d’Emmanuel. Hubris encore...
Pierre Lellouche
Tribune VA, 7/7/24