Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Euromissiles : Acte II

 

Vous avez dit « mort cérébrale » ?

« Mesdames et Messieurs, le Président Poutine ! » C’est avec ce lapsus consternant que le Président Biden, voulant présenter Zelensky, a ouvert le sommet du 75e anniversaire de l’OTAN à Washington. Faisant ainsi de sa santé chancelante le sujet central de ce qui était censé être le grand rendez-vous stratégique de l’Occident face à l’alliance russo-chinoise. Mieux : deux heures plus tard à Doral, en Floride, son rival Trump évoquait ainsi l’Alliance devant ses militants hilares : « Je n’avais pas la moindre idée de ce qui était l’OTAN avant d’être élu. Mais je n’ai pas mis bien longtemps à comprendre qu’ils ne payaient pas. Nous, on payait ! On payait presque entièrement pour l’OTAN et ça, ça n’est pas juste ! ».

Avec un tel leadership, il n’est guère surprenant que le sommet n’ait guère permis de préciser la stratégie des Occidentaux sur l’Ukraine. Malgré l’insistance de Zelensky, la porte de l’Alliance lui reste toujours fermée, même si la marche de Kyiv vers l’OTAN est désormais qualifiée d’« irréversible » ; le programme ambitieux d’aide militaire pluriannuel à plus de 108 milliards de dollars proposé par le secrétaire général, Stoltenberg, a été rejeté par les alliés, qui ont préféré s’engager sur une aide trois fois moindre pour une année. Quant aux accords de défense bilatéraux signés avec l’Ukraine (y compris par la France), aucun d’entre eux ne prévoit l’envoi de forces sur le terrain en cas d’agression. Le dilemme reste donc le même : comment empêcher une défaite de l’Ukraine alors que l’aide occidentale ne peut pas se poursuivre indéfiniment, que la reconquête des territoires occupés par les Russes est hors de portée, mais que l’engagement toujours plus conséquent des Occidentaux (emploi de missiles occidentaux pour frapper quotidiennement le territoire russe, arrivée prochaine des F-16) augmente le risque d’escalade ?

C’est dans ce contexte que le Conseiller américain à la Sécurité nationale, Jake Sullivan, a profité du sommet pour annoncer le déploiement de nouveaux missiles à moyenne portée en Allemagne, présentés comme « une capacité défensive, comme toutes celles que nous avons déployées au cours des décennies précédentes ». En effet : voici le retour des « Euromissiles » ! Et d’une crise majeure qui avait marqué la fin des années de guerre froide entre 1979 et 1987. Pour répondre au déploiement de missiles nucléaires sol-sol capables d’atteindre toute l’Europe occidentale — les fameux SS-20 — on se souvient que les alliés avaient répliqué en 1979 avec le projet de déployer des missiles de croisière Tomahawk et des missiles balistiques Pershing II… entraînant des centaines de milliers d’Allemands dans les rues au cri de « mieux vaut rouge que mort ». Cela durant quatre années…

Il fallut attendre l’arrivée de Gorbatchev pour voir aboutir l’accord dit FNI de 1987 actant l’élimination de tous les missiles américains et soviétiques de 500 à 5000 km de portée du continent européen. Sauf que la Russie ayant depuis déployé des missiles SSC-8 considérés en violation de l’accord, Trump décida d’y mettre fin en 2019… Depuis, les Tomahawks ont été modernisés et sont donc de retour, et avec eux, selon le Pentagone, de tout nouveaux lanceurs Typhon, des missiles sol-sol eux aussi nouveaux SM-6, que complètera à partir de 2026 une nouvelle génération de missiles hypersoniques à moyenne portée… L’affaire est évidemment très mal reçue à Moscou, où l’on annonce une riposte « réfléchie, efficace et coordonnée », mais également au sein du SPD et de la gauche allemande où l’on craint à nouveau de voir l’Allemagne transformée en « champ de bataille ».

En 1987, Gorbatchev et Reagan avaient su résoudre la crise des euromissiles en préparant la fin de la guerre froide. En 2024, l’acte II de la guerre des Euromissiles s’ajoute à la guerre tout court…

 

Pierre Lellouche

Tribune VA, 14/7/24

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