Les Chantiers de la Liberté

Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.

Israël et la pieuvre

 

C’est peut-être l’aboutissement redouté, autant qu’inévitable, de la « stratégie de la pieuvre » mise en place depuis quatre décennies par les mollahs de Téhéran : étouffer littéralement Israël en l’attaquant simultanément sur toutes ses frontières. Avec en retour, à un moment clé — nous y sommes —, le risque de provoquer une riposte israélienne si puissante qu’elle entraîne une guerre généralisée dans toute la région.

La pieuvre est un animal intelligent et prudent, généralement tapi dans une cavité dans la roche. Elle tue au moyen de ses huit tentacules déployées à l’extérieur.

L’Iran en a fabriqué cinq, encerclant méthodiquement Israël, et en exploitant à chaque fois les erreurs stratégiques occidentales ou israéliennes : au Liban, avec le Hezbollah, héritier de la guerre d'Israël contre l’OLP en 1982 ; en Syrie, depuis 2012, en soutien au régime alaouite de Bachar al-Assad, abandonné par Washington aux Russes et aux Iraniens ; en Irak, où la majorité chiite a été réinstallée au pouvoir par les Américains après leur désastreuse invasion de 2003 et l’élimination de Saddam, le dictateur sunnite ; au Yémen, où les bombardements saoudiens et émiratis en soutien au gouvernement de Sanaa (377 000 morts entre 2015 et 2021) n’ont fait que renforcer les milices houthies, chiites elles aussi, donc soutenues par Téhéran. La cinquième tentacule, sunnite pourtant, est celle de Gaza : elle constitue la porte d’entrée de Téhéran dans la galaxie palestinienne. Armée elle aussi par Téhéran, c’est elle qui a déclenché la guerre le 7 octobre dernier par le pogrome de masse contre les civils israéliens dans le sud du pays. Ces cinq-là forment « l’axe de Résistance » au service du pouvoir théocratique persan, déterminé à détruire Israël.

Et la stratégie fonctionne plutôt bien : après 10 mois de guerre, le Hamas, bien qu’affaibli, tient toujours l’enclave, au prix du sacrifice délibéré de la population civile qui sert de bouclier humain. Son chef Yahyah Sinouar est toujours en place, introuvable. Israël, en revanche, paie le prix politique désastreux d’une guerre urbaine sans issue et sans stratégie, et des 40 000 morts gazaouis. Jamais, depuis sa création en 1947, Israël n’aura été à ce point isolé et même délégitimé sur la scène internationale… ni l’antisémitisme aussi répandu dans le monde entier, au nom de la défense de la « Palestine ». Depuis 10 mois, fort de ses 100 000 missiles livrés par Téhéran, le Hezbollah attaque sans relâche le nord d’Israël, en solidarité avec Gaza, forçant l’exode de 160 000 civils israéliens. Quant aux milices chiites en Irak et en Syrie, elles frappent les forces américaines dans la région, tandis qu’au Yémen, les missiles houthies, également made in Iran, bloquent le trafic maritime occidental dans le golfe Persique, quand ils n’attaquent pas, comme tout récemment, Tel-Aviv.

Pire, dans la nuit du 14 avril dernier, c’est l’Iran lui-même qui a attaqué directement Israël en lançant une attaque sans précédent de 350 missiles… en riposte à l’élimination d’officiers supérieurs iraniens en Syrie par l’aviation israélienne.

Assailli à l’extérieur, mais également à l’intérieur par les familles d’otages et une majorité de l’opinion publique qui lui reprochent de s’accrocher au pouvoir en profitant de la guerre et de son alliance avec les zélotes juifs les plus fanatiques, Netanyahu, loin de se plier aux injonctions répétées de Biden qui le presse de conclure un accord sur Gaza, cherche au contraire à en finir par la force. En 48 heures, les 30 et 31 juillet, le chef militaire du Hezbollah, Fouad Chokr, et le chef politique du Hamas, Ismaël Hanyeh, ont été éliminés à Beyrouth et à Téhéran même (!), cela une semaine après une attaque aérienne dévastatrice contre le port de Hodeida, au Yémen : Israël veut cette fois, définitivement, couper les tentacules…

Au risque d’une guerre généralisée : les Américains, qui l’ont compris, envoient deux porte-avions, des renforts aériens et 4 000 hommes dans la région pour dissuader Téhéran d’intervenir directement. Au risque aussi, même si la guerre est évitée cette fois-ci, de reculer pour mieux sauter. Comme pour les pieuvres, ces tentacules-là peuvent également repousser…

Pierre Lellouche

Tribune VA 4/8/24

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