Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
20 Mars 2025
Profitant de la panique créée en Europe par le revirement brutal de Trump sur la Russie et l’Ukraine, Emmanuel Macron vit ses quinze minutes de gloire wharoliennes.
Le voici en France, ressuscité en chef de guerre, loin de ses déboires politiques, conséquences de sa dissolution ratée. Le voilà en Europe, où, multipliant les sommets, il entend se hisser au rang de protecteur de nos voisins européens. À ceux-là, tous non nucléaires et désormais orphelins du parapluie américain, Macron rappelle que la France est une puissance « dotée ». Mieux, qu’elle est prête, annonce-t-il solennellement, à ouvrir sans tarder le débat sur un éventuel « élargissement de sa dissuasion nucléaire » à nos partenaires.
Et, comble de satisfaction : Berlin, Varsovie et jusqu’à la Scandinavie, indifférents jusqu’ici à notre ombrelle nationale, se sont subitement découvert un intérêt marqué pour la proposition macronienne.
Mais de quoi parle-t-on au juste ?
Élargir le parapluie français, mais à qui ? Et qui appuiera sur le bouton ? Un conclave de quelques chefs d’État ou un comité Théodule fédéral ? Et s’il s’agit de risquer d’incinérer Paris pour sauver Vilnius, Varsovie ou Bratislava, les Français, qui n’ont pas été consultés, en seraient-ils d’accord ?
Et quid alors de notre arsenal actuel de 290 ogives ? Celui-ci a été dimensionné « en stricte suffisance » pour la protection ultime de 70 millions de Français. Mais face aux quelque 5 000 armes nucléaires russes, notre force actuelle ne devrait-elle pas être multipliée par cinq au moins s’il s’agissait de protéger 450 millions d’Européens ? Et qui paierait pour cinq fois plus de missiles, de sous-marins lanceurs d’engins (SNLE) et de Rafales N ?
En vérité, l’idée que notre dissuasion nationale protège nos « intérêts vitaux » et que ces intérêts vitaux demeurent volontairement non définis a permis à la France, depuis de Gaulle, de projeter sur l’agresseur potentiel (l’URSS, puis la Russie) une nécessaire ambiguïté stratégique.
Pour le Général, les intérêts vitaux de la France se seraient trouvés compromis en cas d’invasion de l’Allemagne de l’Ouest (à l’époque) ou du Benelux. Plus tard, Giscard l’Européen avança, avec son chef d’état-major, le général Méry, la notion de « dissuasion élargie », mais sans plus de précisions… Quant à l’OTAN elle-même, elle reconnaît depuis son communiqué d’Ottawa de 1974 la « contribution » des forces nucléaires française et britannique à la dissuasion globale de l’Alliance.
Mais tout cela, c’était le monde d’hier. Un monde où l’Amérique était clairement engagée à protéger ses alliés, y compris par la menace d’emploi de l’arme nucléaire, la dissuasion française ne venant, en quelque sorte, qu’en deuxième rideau.
Pour justifier la bombe française, de Gaulle avait dit, fort justement, que l’on pouvait douter qu’un président américain risque l’annihilation de New York pour sauver Paris. Ironiquement, c’est la même interrogation qui s’impose aujourd’hui à Varsovie, à Berlin et bien sûr à Kiev. Qui peut croire qu’un président français échangerait Paris contre Riga ? Si Washington ne nous protège plus, pourquoi ferions-nous davantage confiance à Paris ?
D’autant que la guerre d’Ukraine est déjà lourde d’enseignements nucléaires. Le premier est que le nucléaire, pourtant omniprésent en Europe, n’a nullement empêché l’irruption d’une guerre conventionnelle de très haute intensité sur le continent, qui a déjà tué ou blessé un million de personnes des deux côtés.
En revanche, le fait que l’Ukraine ait été contrainte en 1994 par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité d’abandonner les 5 000 armes nucléaires léguées sur son sol par la défunte Union soviétique (selon le protocole de Budapest) l’a laissée littéralement sans défense face à l’agression de Poutine. Pire, aucune des puissances garantes de la dénucléarisation de 1994 – dont la France – n’est intervenue directement en défense de la victime, ni en 2014, ni en 2022.
Cette leçon-là explique l’intérêt soudain porté à la proposition de Macron, mais elle porte aussi en germe une nucléarisation probable des pays les plus menacés qui auront retenu la leçon. Déjà, le Premier ministre polonais évoque la nécessité pour son pays de se doter d’une force de dissuasion, une décision qui entraînera une tentation semblable à Kiev et à Berlin…
En ces temps troublés, l’époque est à la dissémination des parapluies…
Pierre Lellouche
Tribune VA – 12/03/2025
Les Chantiers de la Liberté - Pierre Lellouche
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