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Poutine – Trump : l’un joue aux échecs, l’autre au mikado…

Poutine – Trump : l’un joue aux échecs, l’autre au mikado…

« Terminer cette horrible guerre en 24 heures » : la promesse de Donald Trump paraît plus illusoire que jamais au lendemain de la longue conversation téléphonique entre les Présidents russe et américain du 19 mars.

Trump, médiateur unique et autoproclamé du conflit ukrainien, avait d’entrée de jeu défini les règles : la négociation, ce serait lui et Poutine seulement, sans Zelensky et sans les Européens, pourtant ses alliés, et pourtant tous concernés au premier chef.

Lors de leur premier échange téléphonique du 12 février, Trump avait même offert à Poutine, en guise de cadeaux de bienvenue, et en plus de ses témoignages appuyés d’estime et d’amitié, trois concessions majeures – et gratuites (!) : pas d’OTAN pour l’Ukraine, abandon à la Russie des territoires conquis, et expulsion des Européens de la table des négociations.

Malgré la consternation et la panique que ces premières initiatives causèrent dans l’Europe entière, Trump, imperturbablement, poussait de l’avant, profitant à plein de l’effet de choc.

Restait à entrer dans le vif du sujet.

La première partie, l’Ukraine, était la plus facile. Une fois Zelensky publiquement humilié dans le Bureau Ovale le 28 février, il suffit à Trump de suspendre pendant quelques jours les livraisons d’armes américaines et l’accès aux renseignements du Pentagone, pour que tout s’arrête. Kiev, qui jusque-là ne voulait pas négocier tant qu’il ne serait pas en position de force, capitule littéralement devant son protecteur américain. Fait sans précédent, l’Ukraine accepte même que son sort soit négocié sans elle, par un état tiers, directement avec l’agresseur. Une mise sous tutelle qui ne dit pas son nom donc, qui aboutit à l’annonce d’une trêve inconditionnelle de 30 jours dont Zelensky ne voulait pas entendre parler jusque-là, lui qui exigeait un vrai accord de paix assorti de garanties de sécurité robustes. Cerise sur le gâteau, Trump obtient même des Ukrainiens un accès privilégié à leurs ressources minières, ironiquement les mêmes terres rares que Kiev avait préalablement concédées à l’Union Européenne aux termes d’une Convention peu connue signée le 13 juillet 2021 à Bruxelles… Carton plein, donc, pour le « Roi du deal » .

Restait cependant, à amadouer l’autre partie prenante, la Russie, autrement plus coriace. Pour Marc Rubio, novice Secrétaire d’État de Trump, la balle était désormais dans le camp de Poutine. À son tour de jouer le jeu, et à tout le moins, de consentir à la trêve de 30 jours.

Las, le chef du Kremlin, adepte du jeu d’échecs, n’a nulle intention de se presser. S’il doit prendre soin de ne pas vexer ou pire, humilier Trump, en rejetant la totalité de ses propositions, il sait aussi empocher ses gains et en réclamer toujours plus. En position de force sur le champ de bataille, peu vulnérable aux centaines de sanctions américaines déjà en place, la Russie n’offre que peu de prises aux pressions de Trump. Poutine fera donc un petit geste en consentant à une suspension temporaire des frappes sur les installations énergétiques, mais rien de plus. Pour la suite, c’est-à-dire pour un cessez le feu total, le message de Poutine est sans ambiguïté : Trump devra payer. En stoppant toute assistance militaire à l’Ukraine et en obtenant des Européens qu’ils en fassent de même.

La balle revenait donc méchamment dans le camp de Trump qui a désormais le choix entre deux mauvaises solutions : soit acquiescer à la capitulation de l’Ukraine, doublée d’une crise ouverte avec les Européens qui eux entendent poursuivre leur aide à Kiev, soit au contraire rejeter les prétentions russes et prendre des mesures fortes contre Poutine : sanctions supplémentaires, voire aide militaire augmentée à Kiev, toutes chose que Trump cherche à éviter, lui qui est à la recherche d’une sorte de condominium économico-stratégique mondial avec la Russie.

Comment Trump va t- il s’extraire du piège dans lequel il s’est mis lui-même, aidé il est vrai par son collègue Poutine ?

Colérique et imprévisible, Trump risque de répondre comme au Mikado, en soulevant brutalement la mauvaise baguette qui fera s’effondrer la totalité du jeu…

Kissinger revient, ils sont devenus fous…

 

Pierre Lellouche - Tribune VA – 20/3/25

 

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M
Monsieur le Ministre,<br /> <br /> la situation géopolitique reste préoccupante. Je me permets donc de réagir à votre article avec un texte que j'ai rédigé le 6 avril 2025.<br /> En toute modestie, je vous soumets des réflexions supplémentaires concernant cette thématique :<br /> <br /> <br /> Trump, Poutine et nous<br /> <br /> D’aucuns estiment que Donald Trump est fou.<br /> D’autres pensent que Vladimir Poutine est fou.<br /> Certes, Donald Trump donne parfois l’impression d’avancer comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, mais les éléphants même s’ils paraissent brutaux, ont de la mémoire et de la sensibilité….<br /> Non, Donald Trump n’est pas fou. Il est furieux.<br /> Quant à Vladimir Poutine, il n’est pas fou non plus. C’est un joueur d’échecs et les joueurs d’échecs sont souvent des gens lucides, mais le 24 février 2022 Vladimir Poutine a perdu son sang-froid face à la situation géopolitique et la machine s’est emballée.<br /> Cela aurait dû et aurait pu être évité, comme vous le dites, je suis entièrement d’accord.<br /> <br /> Maintenant, on nous dit que Donald Trump et Vladimir Poutine s’entendent merveilleusement ou que l’un serait inféodé à l’autre.<br /> En réalité, ils arrivent à se parler parce qu’ils veulent la même chose. Ils veulent aller vers la paix en Ukraine.<br /> Et puis, leurs analyses arrivent au même constat. A leurs yeux, le monde est devenu fou.<br /> L’Occident sombre dans une espèce de décadence morale.<br /> L’Europe a perdu les pédales.<br /> Tous, nous nous trompons de guerre. Le danger est ailleurs.<br /> Les deux voudraient rétablir le bon ordre des choses.<br /> Les deux sont des hommes pragmatiques.<br /> <br /> L’histoire nous enseigne que les hommes dogmatiques sont infiniment plus dangereux que les hommes pragmatiques…<br /> <br /> Donc Donald Trump et Vladimir Poutine ont décidé, de façon très pragmatique, que pour le bien du monde entier, il faille faire la paix en Ukraine.<br /> Mais, l’Europe ne la veut pas, cette paix. La grande majorité de nos dirigeants européens, veut que la guerre continue. Pour des raisons obscures, assez inexplicables.<br /> (Serait-ce parce que brandir le Poutine ante portas peut être utile quand des élections approchent ?)<br /> <br /> Alors que des pourparlers de paix sont lancés, en Europe, on essaie de les torpiller par tous les moyens. On fait des réunions, des sommets, des visios, des conférences, on dégaine un seizième paquet de sanctions et Emmanuel Macron en rajoute une couche en promettant une nouvelle aide de deux milliards d’Euros à l’Ukraine….<br /> Résultat des courses, les Européens sont écartés des discussions. Tant qu’ils restent dans leur attitude belliqueuse on ne les assoit pas à la table des négociations. On veut d’abord régler certaines choses (par exemple, le trafic maritime en Mer Noire) et puis passer aux choses plus sérieuses, notamment réfléchir à comment structurer une paix durable. La non-intégration de l’Ukraine dans l’OTAN, sa neutralité, ses nouvelles frontières, etc. seront des éléments concomitants dans ces discussions-là.<br /> On n’a pas envie que des idéologues européens viennent entraver ces discussions. On les invitera plus tard. Eventuellement...<br /> Pour l’instant, on veut faire de la Realpolitik, mais en Europe on ne semble pas comprendre ce concept.<br /> Et pourtant, J.D. Vance nous a donné une feuille de route, à sa manière.<br /> Il voudrait que l’on sauvegarde nos valeurs démocratiques en Europe, que l’on s’oppose à l’immigration massive et accessoirement à l’islamisme en Europe et que l’on protège nos frontières européennes…<br /> Il nous donne des leçons certes, mais en même temps, il nous alerte sur nos priorités. <br /> Le danger se situe désormais en Asie d’un point de vue américain.<br /> Nous devrions peut-être prendre tout cela en considération…<br /> Il est absolument clair que la Russie ne marchera pas sur Paris et Berlin. Elle ne le veut pas et elle ne le peut pas. Ni aujourd’hui. Ni demain.<br /> <br /> Pendant tout ce temps-là, la Chine avance inlassablement.<br /> Elle veut s’emparer de Taïwan en 2027, paraît-il, diriger le monde en 2049. Elle déploie sa « nouvelle route de la soie » sur la planète entière, ce qui explique aussi l’intérêt que l’administration Trump porte au Canal du Panama et au Groenland.<br /> Donald Trump veut être prêt. Commander c’est prévoir…disent les militaires.<br /> Les troupes américaines doivent être déplacées vers un autre théâtre de guerre potentiel. La paix en Europe est donc un préalable. Dans la nouvelle architecture sécuritaire globale selon Donald Trump, elle est la pièce maîtresse.<br /> <br /> Et le réarmement de l’Europe dans ce contexte ?<br /> Il ne faut pas céder à la panique.<br /> Après la chute du Mur de Berlin et le départ des GIs de Ramstein (temporairement) et ailleurs, personne ne s’est arraché les cheveux…<br /> Les Américains n’ont pas dit qu’ils nous laisseraient tomber complètement. Ils ont dit qu’ils allaient être occupés ailleurs. Qu’ils avaient d’autres problèmes à régler. Principalement, stopper l’élan hégémonique de la Chine, stopper le programme nucléaire Iranien et établir une paix au Proche Orient. C’est louable….<br /> <br /> L’Europe doit définir ces objectifs, ces dangers, ces menaces, ces ambitions dans ce contexte.<br /> La France est fauchée, mais la France a la bombe - qu’elle ne doit surtout pas partager avec Friedrich Merz. Celle des Britanniques existe également. Donc la dissuasion nucléaire est présente en Europe. Nous disposons de cet outil.<br /> Puis nous devrions peut-être être armés face à aux dangers énumérés par J. D. Vance. Ne serait-ce pas un premier pas dans la bonne direction ?<br /> Il nous faut des moyens pour protéger nos frontières et pour lutter contre les menaces à l’intérieur de nos pays. Nous n’allons pas faire tout cela avec des canons Caesar…<br /> <br /> Pour conclure, un accord de paix durable entre l’Europe et la Russie et primordial.<br /> La coopération entre l’Europe et la Russie l’est aussi.<br /> Cette guerre néfaste a déjà fait trop de dégâts et trop de morts…<br /> L’Ukraine doit devenir ce pont entre ces deux entités géographiques.<br /> Cela permettra à l’Europe de travailler avec les Etats-Unis de façon équitable.<br /> Cela permettra de rétablir un équilibre des forces.<br /> Et cela permettra de rétablir la crédibilité de l’Europe, une Europe idéalement composée d’Etats souverains qui devraient savoir coopérer de façon pragmatique…<br /> <br /> Marion Winter, le 06/04/2025
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P
Le blog Les Chantiers de la Liberté vous remercie de cette contribution de qualité.