10 Octobre 2024
Commencée le 13 avril, la guerre des missiles lancée par l’Iran contre Israël a repris plus violemment encore dans la nuit du 2 octobre, avec des conséquences potentiellement dévastatrices pour les deux pays, pour la région du Moyen-Orient et potentiellement pour le monde entier.
Chacun connaît ses causes immédiates : la décapitation systématique par Israël de la direction religieuse et militaire du Hezbollah, le bras armé de l’Iran au Liban, ainsi que la destruction d’une partie significative de ses forces armées. L’opération israélienne elle-même répondait à l’agression du Hezbollah, depuis le 8 octobre, en soutien aux Palestiniens de Gaza. En un an, pas moins de 8 800 missiles, livrés par Téhéran, se sont abattus sur le nord d’Israël, forçant l’évacuation et l’exode de 60 000 Israéliens vers le centre du pays.
Mais l’engrenage vers la guerre, et peut-être la guerre totale entre Perses et Juifs, deux peuples jadis proches et même alliés, a cependant des origines bien plus anciennes. En 1979, Khomeini installe un pouvoir théocratique impitoyable à Téhéran, désignant immédiatement deux « Satans » : le « grand », l’Amérique, que l’Iran veut expulser d’Orient, et le « petit », Israël, que l’Iran annonce vouloir, ni plus ni moins, rayer de la carte. Le premier paiera dès novembre 1979 par la prise d’otages de son ambassade, un coup de force qui ne s’achèvera qu’en janvier 1981, puis avec l’attentat de Beyrouth contre ses soldats en 1983. Le second verra la même année, en 1983, la création du Hezbollah sur sa frontière nord, entraînant des guerres à répétition qui ne feront que renforcer l’emprise de l’armée chiite sur un malheureux Liban, désormais pris totalement en otage par Téhéran.
Entre-temps, la République islamique conduit une stratégie de long terme de domination régionale au moyen de son programme nucléaire, commencé sous le Shah au milieu des années 1970 et militarisé clandestinement ensuite par les Mollahs. De même, l’Iran construit l’une des plus puissantes forces de missiles balistiques au monde, avec un arsenal de 3 000 missiles de 400 à 4 000 km de portée.
Deux gigantesques bourdes américaines vont par ailleurs le servir. L’invasion américaine de l’Irak en 2003, d’abord. Décidée par Bush junior, elle conduit à l’élimination de Saddam, le rival sunnite contre lequel l’Iran avait dû mener une guerre sanglante (800 000 morts !) entre 1980 et 1988. « Grâce » à Bush, l’Irak, désormais dominé par les chiites, est devenu une sorte de protectorat iranien d’où les forces américaines dans la région sont régulièrement attaquées par des milices chiites pro-iraniennes. Ensuite, Trump dénoncera en 2018 l’accord sur le nucléaire iranien (JCPOA), lequel organisait une surveillance internationale des programmes iraniens atomiques et de missiles. À présent, tous les contrôles ont été démantelés.
Cerise sur le gâteau iranien, la guerre par procuration entre l’OTAN et la Russie en Ukraine depuis 2022 a conduit Russes et Chinois à se rapprocher des Mollahs : les premiers recevant des missiles iraniens destinés à frapper l’Ukraine, les seconds achetant le pétrole iranien au mépris des sanctions internationales. Résultat : l’Iran dispose d’au moins 450 kg d’uranium enrichi, de quoi faire très rapidement au moins trois bombes nucléaires. On a même vu cet été des manœuvres navales tripartites dans le Golfe persique entre marines russe, chinoise et iranienne…
Dans un tel contexte, évoquer la chute imminente du régime des Mollahs, au lendemain de l’élimination de Nasrallah, paraît pour le moins prématuré… Le défi existentiel pour Israël demeurera tant que des fanatiques règneront sur un pays trois fois plus vaste que la France et dont la population (92 millions) est dix fois supérieure à celle de l’État juif. En avril dernier, Israël avait répliqué de façon très subtile en détruisant des batteries aériennes S-400 à Ispahan, mais non les sites nucléaires à proximité. Cette fois, la tentation sera grande d’en finir avec les sites nucléaires les plus sensibles, tels que Natanz. Avec le risque cependant d’une conflagration générale où pourraient être aspirées des puissances extérieures…
Tribune VA 3/10/24
Pierre Lellouche