25 Septembre 2024
Au lendemain de la réunion du Groupe de Ramstein, censé coordonner l’aide militaire à l’Ukraine, à laquelle le Président Zelensky participait pour la première fois en personne vendredi dernier, l’administration Biden a laissé entendre qu’elle livrerait cet automne ses premiers missiles de croisière air-sol JAASM. Ces armes, larguées par des F-16 récemment livrés ou par des MiG-29 ou des SU-27 ukrainiens modifiés, pourraient atteindre la profondeur du territoire russe, entre 370 et 1 000 km, avec des charges explosives de 450 kg.
Jusqu’à cette date, Biden refusait de telles frappes en profondeur, redoutant une riposte russe potentiellement nucléaire. Seuls les Britanniques et les Français avaient livré quelques dizaines de missiles air-sol Storm Shadow/Scalp, d’une portée de 350 km, qui ont fait des ravages en Crimée. Les Allemands, quant à eux, refusent toujours de livrer leur missile Taurus (500 km).
En juin dernier, à la suite de l’offensive aérienne de Moscou sur Kiev, Biden avait autorisé les Ukrainiens à riposter en territoire russe, au moyen de missiles sol-sol ATACMS, mais uniquement dans la région voisine de Belgorod, pour desserrer l’étau russe.
Depuis, Zelensky a lancé son offensive terrestre dans la région de Koursk début août, afin, dit-il, d’acquérir un gage territorial en vue d’une éventuelle négociation de paix. Bien que cette offensive soit audacieuse, elle n’a pas permis de changer le rapport de force, ni de contraindre les Russes à ralentir leur poussée sur le Donbass. C’est même l’inverse qui se produit, avec la chute annoncée du verrou de Pokrovsk.
En échec sur le terrain et redoutant les conséquences de la prochaine élection présidentielle aux États-Unis, les Ukrainiens accélèrent donc leurs frappes en profondeur sur le territoire russe, notamment avec leurs propres drones, dans l’espoir d’impressionner l’opinion publique russe et de contraindre Poutine à négocier. La première victime civile russe, une femme, a été tuée dans une ville proche de Moscou ces derniers jours. Cependant, les drones sont lents et vulnérables, d’où le besoin de missiles à longue portée, besoin également justifié par les livraisons de missiles iraniens à Moscou.
Le revirement envisagé de la position américaine, préparé par la visite conjointe à Kiev, le 10 septembre, des ministres américain et britannique des Affaires étrangères, Antony Blinken et David Lammy – une première – n’a finalement pas eu lieu. Recevant le Premier ministre britannique Starmer à Washington quelques jours plus tard, Biden a finalement maintenu son veto, du moins pour l’instant. Malgré les propos enflammés de Blinken à Kiev, qui avait parlé de faire « gagner » l’Ukraine et de lui « fournir tout ce dont elle a besoin », Biden n’a pas changé de position, redoutant une guerre directe avec Moscou, une menace agitée par Poutine. Selon ce dernier, la livraison d’armes à longue portée frappant le territoire russe aurait « changé la nature de la guerre », en la transformant en un conflit direct entre l’OTAN et la Russie.
Jusqu’ici, les Occidentaux, tout en livrant 200 milliards d’armements modernes à l’Ukraine, interdisaient de frapper directement la Russie, tandis que Moscou s’abstenait de frapper les zones de livraison des armes occidentales sur le territoire de l’OTAN.
Zelensky, qui n’a pas demandé la permission de Washington avant d’envahir la région de Koursk, répète à l’envi que les « lignes rouges » tant redoutées par les Occidentaux ne sont qu’un bluff auto-infligé par eux-mêmes. Selon lui, la preuve en est que Moscou n’a pas réagi après l’entrée de forces ukrainiennes sur son territoire, la première invasion du territoire russe depuis 1941 ! Il continue inlassablement de pousser pour obtenir un revirement de Biden, qui consacrerait alors le succès de la stratégie ukrainienne. Celle-ci est compréhensible : internationaliser à tout prix cette guerre, pour qu’elle devienne véritablement celle de l’Occident uni contre la Russie.
Il y a cependant deux bémols. Le premier est que, militairement, une guerre de missiles à longue portée n’aura aucun impact sur le champ de bataille sans un renforcement des moyens en hommes et en matériel du côté ukrainien, une remontée en puissance considérée comme hors de portée, compte tenu du différentiel de puissance entre les deux belligérants. Le second est que la Russie menace de répondre à cette escalade imminente, ce qu’a reconnu le chef de la CIA, William Burns, dans le Financial Times : « Aucun d’entre nous ne devrait prendre à la légère les risques d’escalade », a-t-il déclaré, avant d’ajouter : « Je n’ai jamais pensé que nous devrions être inutilement intimidés par cela. »
Pour l’instant, Biden s’en tient à la première partie de l’équation. La seconde sera sans doute évoquée lors de la prochaine visite de Zelensky à Washington.
Pierre Lellouche
Tribune VA, 12/09/24