Idées et analyses sur les dynamiques politiques et diplomatiques.
14 Février 2025
Benjamin Netanyahu se souviendra sans doute de son quatorzième voyage à Washington. Certes, il a eu l’honneur d’être le premier chef d’État étranger reçu à la Maison-Blanche, à peine trois semaines après l’investiture de Donald Trump. Mais le Premier ministre israélien redoutait que cette rencontre ne tourne au vinaigre, tant les positions des deux hommes semblaient, a priori, opposées sur l’avenir de Gaza.
Il n’en fut rien. La réunion fut marquée par l’annonce fracassante de Trump : un projet de Gaza américanisée, vidée de ses réfugiés, de ses terroristes, de ses otages et de ses tunnels, pour devenir une sorte d’annexe de la Floride. Indignation dans les capitales arabes, stupeur en Europe… mais soupir de soulagement chez Netanyahu.
Le chef du gouvernement israélien s’attendait en effet à ce que Trump relance son ambition centrale, celle pour laquelle il rêverait, dit-on, d’un prix Nobel de la paix : relancer les Accords d’Abraham, initiés lors de son premier mandat et que l’attaque du Hamas du 7 octobre avait précisément cherché à torpiller. Pour y parvenir, Trump a besoin du soutien total de l’Arabie saoudite, pays dont il attend également 600 milliards de dollars d’investissements aux États-Unis.
Or, si Mohammed ben Salmane (MBS) ne nourrit aucun affect particulier pour les Palestiniens, il ne peut, en tant que « Gardien des lieux saints de l’Islam », reconnaître Israël sans obtenir au minimum l’ouverture d’un processus diplomatique menant à un État palestinien aux côtés de l’État juif. C’est précisément sur ce point que Netanyahu craignait d’être acculé.
D’une part, le traumatisme du 7 octobre a profondément bouleversé la société israélienne, y compris à gauche : comment envisager un État palestinien si celui-ci risque d’être le point de départ d’un nouveau pogrom de masse en Israël ? D’autre part, comment obtenir la libération des otages sans permettre au Hamas de reprendre le contrôle de Gaza et sans provoquer l’explosion de son propre gouvernement ?
Après 15 mois de guerre, le prix des 251 otages ne cesse d’augmenter, alimenté par la souffrance de l’opinion publique. 580 terroristes, dont 200 condamnés pour des attentats sanglants, ont été échangés contre 18 otages (dont cinq ressortissants thaïlandais) libérés lors de la première phase de l’accord conclu le 19 janvier, à la veille de l’investiture de Trump. La deuxième phase, qui s’annonce encore plus coûteuse, prévoit la libération de 64 otages restants, dont la moitié sont probablement morts.
Pour parvenir à cet échange, Israël devra non seulement relâcher des milliers de prisonniers, mais aussi acter la fin de la guerre et se retirer entièrement de Gaza, à l’exception d’une ceinture de sécurité d’un kilomètre à la périphérie de l’enclave. Autant de concessions inacceptables pour les alliés d’extrême droite de Netanyahu : Itamar Ben Gvir a déjà quitté le gouvernement, tandis que Bezalel Smotrich menace d’en faire autant si la guerre ne reprend pas.
Netanyahu redoutait donc d’avoir à choisir entre le soutien de Trump et la survie de son gouvernement. Or, en prônant un Gaza sans Palestiniens, Trump vient de changer la donne et de placer la balle dans le camp des capitales arabes. Depuis la guerre d’indépendance israélienne de 1948, ces dernières ont toujours considéré les Palestiniens comme des « réfugiés » dépendant de l’aide internationale via l’UNRWA.
De 400 000 personnes en 1948, la population de Gaza a aujourd’hui dépassé les 2,2 millions. Or, ni l’Égypte, ni la Jordanie, ni les riches monarchies du Golfe ne souhaitent les accueillir. Trump parviendra-t-il à leur forcer la main ? Rien n’est moins sûr.
Une chose est certaine, cependant : du Groenland au Panama, en passant par le Canada et Gaza, Trump est en train de dynamiter l’ordre mondial.